Lorenzo Létourneau, un Canadien français au Klondike, 1898-19021Nous remercions Monsieur François Gauthier, petit-neveu de Lorenzo Létourneau pour sa collaboration qui a pris diverses formes.
Au milieu du XIXe siècle, des traitants de fourrure trouvent à l’occasion des filons d’or dans la vallée du fleuve Yukon. À partir des années 1870, la promesse d’un enrichissement rapide attire de plus en plus d’aventuriers dans la région, mais c’est vraiment avec la découverte par George Carmack, en août 1896, d’alluvions aurifères dans le ruisseau Bonanza que commence la ruée vers le Klondike2 En termes géographiques, le Klondike est une région du Yukon, située à l’est de la frontière avec l’Alaska. Dans le cadre de ce travail, cependant, nous élargissons ses frontières pour englober les régions minières avoisinantes, y compris le nord de la Colombie-Britannique, où Lorenzo Létourneau passe plus d’un an..
Au bout de trois mois, ce ne sont pas moins de 500 concessions qui sont en opération, et leur nombre augmente encore lorsque la fièvre de l’or s’empare du monde occidental. Selon une estimation, entre 1897 et 1899, un million de personnes voudraient tenter leur chance au Klondike. En réalité, 100 000 entreprennent le voyage, mais la moitié seulement se rend à destination. Le plus souvent, ils partent en groupe. Au Québec, presque toutes les localités sont touchées. Ils seraient ainsi 10 000 Québécois et 100 Québécoises à fouler le sol du Yukon. Ils veulent émuler Alphonse Lapierre de Québec et Narcisse Picotte, de Saint-Rémi de Laprairie, qui sont parmi les premiers orpailleurs à s’enrichir3Notre présentation du Klondike s’appuie sur Berton (1972), Pomerleau (1996), Porsild (1998) et Gray (2010)..
Les Américains constituent le groupe le plus nombreux avec 40 % des effectifs, mais ils ne forment jamais la majorité de la population du Yukon. Ils sont suivis par les Canadiens français, dont les ancêtres ont participé aux ruées vers la Californie, la Colombie-Britannique et même l’Australie. Dans cette société hiérarchisée, les migrants du Québec sont concentrés dans les occupations non qualifiées, travaillent la plupart du temps pour des compatriotes et forment des enclaves résidentielles sur les concessions. À Dawson City, peuplée surtout par des Américains, ils ont leurs propres lieux de sociabilité et d’amusement, par exemple l’hôtel Ottawa et le saloon Cadieux (Porsild, 1998: 60-136).
Toutefois, dès la fin de 1898, la ruée commence à ralentir, les premiers arrivés s’étant déjà approprié les parcelles du territoire les plus productives. Amèrement déçus, des milliers de prospecteurs repartent. En 1901, lorsque le gouvernement canadien recense les habitants du Yukon, celui-ci ne compte plus que 27 219 personnes, dont 1 605 Canadiens français (soit 6 %).
Lorenzo Létourneau et son séjour au Klondike
Né dans la côte Saint-Régis, à Saint-Constant de Laprairie, le 4 septembre 1867, Lorenzo Létourneau est l’aîné d’une famille de onze enfants, dont neuf se rendent à l’âge adulte. Il fréquente l’Académie de Laprairie de 1877 à 1880, le Collège Saint-Henri de Montréal en 1881 et 1882, puis l’École normale Jacques-Cartier, qu’il doit cependant quitter en novembre 1883, donc à l’âge de seize ans, afin de remplacer sur la ferme son père qui se meurt d’une crise d’appendicite. Dès lors, aidé occasionnellement par son frère Séverin, de quatre ans son cadet, il cultive et gère la ferme paternelle pendant une quinzaine d’années, non sans succès car il concourt au Prix du mérite agricole en 1896. En janvier 1898, avec quelques autres jeunes hommes du comté de Laprairie, il succombe à la fièvre de l’or (Gauthier, 2006: 16-17).
Si Lorenzo quitte sa ferme, c’est que, comme beaucoup de ses compatriotes, il est endetté. Ce n’est pas moins de 6 000$, somme importante à l’époque, qu’il doit à ses créanciers. Quand il lit dans les journaux l’annonce de la découverte d’or au Klondike, Lorenzo y voit sûrement la solution à ses maux. Il part le 10 janvier 1898, avec l’idée de trouver le métal précieux, mais aussi de faire d’autres affaires, telles que la coupe du bois, le dragage sur les rivières ou la vente d’alcool. Son premier arrêt est Montréal, d’où il embarque sur un train à destination de Chicago. Il y est attendu à la gare par un oncle et un cousin, qui le présentent à plusieurs personnes et lui font visiter la ville. Le 16, il reprend la route vers Seattle, un voyage de six jours. Le 23, il repart pour Victoria. Il y passe près de deux mois, logeant à l’hôtel tenu par un cousin, Horace Perry. Le 24 mars, en compagnie de son ami Domina Montigny, qui est venu le rejoindre, il s’embarque pour le Nord. Le navire fait escale à Vancouver le 25. Cinq jours plus tard, les deux compagnons sont à Wrangell d’où ils s’embarquent immédiatement pour Cottonwood Island, à l’embouchure de la rivière Stikine4Lorenzo et Domina empruntent donc la «route de l’avenir», que Raymond Auzias-Turenne (1899: 249-251) qualifie d’impraticable.. Le 31, ils remontent la rivière à pied. Le 16 mai, ils déposent des effets à Telegraph Creek et se dirigent vers Teslin, où ils se proposent de construire un hôtel, un projet qui ne se réalisera pas. Mais ce gros camp de mineurs devient la base à partir de laquelle ils rayonnent jusqu’à Half-Way House Telegraph Creek, Glenora, Discovery et Atlin. Les deux hommes chassent et pêchent. À l’occasion, ils gagnent de l’argent en travaillant à la construction d’un chemin de fer ou en transportant de l’alcool.
Le 19 juin 1899, Lorenzo se dirige seul vers Dawson, en passant par Whitehorse. Il arrive dans la capitale du Yukon le 8 juillet. Le 2 août, on le retrouve à la concession 17 Eldorado, la deuxième plus grande du Klondike, qui appartient pour moitié à Narcisse Picotte. Là, avec les quatre frères de ce dernier et une trentaine d’autres Canadiens français, il participe à tous les travaux exécutés par les chercheurs d’or et il assiste aux premières transformations technologiques dans les mines du Klondike, comme l’installation des bouilloires pour dégeler le sol en hiver et l’arrivée des chars sur voies ferrées dans les corridors miniers souterrains. Létourneau, qui agit entre autres comme commis, consigne les quantités d’or lavées chaque jour, voit défiler des cueillettes de quelque deux cent mille dollars. Il habite au 17 Eldorado pendant presque deux ans, quoiqu’il se rende souvent à Dawson et qu’il prospecte dans les alentours. Puis, à partir du 17 août 1901, il vit plus ou moins sur la concession qu’il a obtenue au 240 Dominion. Il n’y reste pas un an. En effet, le 2 août 1902, il prend le long chemin du retour, faisant des escales à Grand Forks, Dawson, Whitehorse, Skagway, Seattle, San Francisco, Oakland, Chicago. En tout, il aura ainsi parcouru plus de 7 300 kilomètres et il rentre à Saint-Constant «plus lourd de souvenirs variés que d’espèces sonnantes» (Fonds Lorenzo Létourneau, BANQ-Québec).
Riche de ses études antérieures et de ses expériences récentes, Létourneau, qui a vendu la terre paternelle à la fin de son séjour au Klondike, entame alors une carrière de comptable dans différentes entreprises (1903-1914), avant de devenir assistant d’Édouard-Zotique Massicotte aux Archives judiciaires de Montréal. En parallèle, il cumule diverses fonctions. De 1911 à 1921, il est maire de Saint-Constant et, entre 1913 et 1927, il est secrétaire de sa commission scolaire. Il agit en outre comme préfet du comté de Laprairie de 1917 à 1921, agent fédéral auprès des Autochtones de Caughnawaga (Kahnawake), de 1913 à 1927 et agent de la Banque canadienne nationale. Marié en 1915 à Josie-Marie Hanson, il devient veuf dès 1923. Le couple n’a pas eu d’enfant. Lorenzo décède le 19 novembre 1945, à l’âge de 78 ans, des suites d’un accident vasculaire-cérébral (Gauthier, 2006: 13-14).
Une source unique
Pendant plus de quatre ans, Lorenzo tient scrupuleusement son journal, ne s’interrompant que quelques semaines pendant lesquelles il a le sentiment de n’avoir rien à raconter. Cette activité lui sert de désennui et constitue une façon, en plus des nombreuses lettres qu’il leur écrit, d’informer les membres de sa famille sur sa vie au Klondike. Il leur envoie le journal par tranches5Pour un autre exemple de journal qui joue un rôle épistolaire, voir Cambron (2016: 129-132).. Ses lecteurs privilégiés sont sa mère, son frère Séverin et, à un degré moindre, d’autres parents. Selon son petit-neveu François Gauthier (Gauthier, 2006: 18-19), Lorenzo veut peut-être aussi laisser une trace de ses pérégrinations, dans la tradition des récits d’explorateurs qui foisonnent à l’époque.
L’importance du journal de Lorenzo Létourneau tient au fait que ce dernier est l’un des seuls Canadiens français à avoir rédigé un journal pendant son voyage au Klondike. Ce document est de loin le plus complet et le plus représentatif de la vie des chercheurs d’or. Par exemple, le journal d’Arsène Simard, un tanneur de Baie-Saint-Paul, est beaucoup plus court (25 p.), peu informatif et beaucoup moins crédible6«Journal de voyage de monsieur J.-Arsène Simard, de Baie-Saint-Paul à Dawson au Yukon» (3 mars 1898 – 12 octobre 1902). Le livre Une pionnière au Yukon d’Émilie Tremblay (1948) n’est pas un récit de voyage, mais la transcription de souvenirs recueillis par le père oblat Marcel Bobillier. Par ailleurs, l’ethnologue Marius Barbeau réalisa en Colombie-Britannique dans les années 1920 des entrevues avec des témoins de la ruée vers le Klondike. Il a colligé plusieurs récits, notamment ceux d’un certain Gustave Gervais, qui sont conservés au Musée canadien de l’histoire: Poirier (2012: 33-50)..
Nous utilisons l’édition du journal de Lorenzo Létourneau par François Gauthier. Ce dernier s’est appuyé sur le manuscrit original de son grand-oncle, rédigé entre le 30 mars 1898 et le 28 août 1902. Il s’agit de carnets longtemps conservés par la famille dans leur intégralité. L’éditeur n’a apporté que des retouches orthographiques et de ponctuation mineures. Il a aussi puisé dans trois versions ultérieures du journal pour intégrer certains ajouts effectués par Lorenzo. Les omissions, quant à elles, ont toutes été réintégrées7La deuxième version est constituée de trois ouvrages reliés et intitulés «Mon journal 1, 2 et 3». Elle comporte une introduction couvrant la période du 9 janvier au 29 mars 1898, rédigée après le retour de Lorenzo au Québec. Ces volumes contiennent aussi plusieurs grandes cartes indiquant l’itinéraire parcouru et des coupures de magazine. La troisième version comporte deux ouvrages reliés du même type que les précédents, mais renfermant, pour le premier, les volumes 1 et 2 de la deuxième version, dactylographiés à simple interligne, sans l’introduction et, pour le second, le volume 3 tapé à double interligne. La dernière version se présente sous la forme de feuilles dactylographiées non reliées, copiées à partir de la deuxième version en 1933 par une nièce de Lorenzo. Dès la deuxième version, Lorenzo modifie son journal. Ainsi ajoute-t-il des patronymes, des prénoms et des toponymes pour que le lecteur arrive à s’y retrouver. Parfois également, il donne des explications détaillées au sujet d’un procédé minier. Ailleurs, c’est une anecdote qui lui revient en mémoire et qu’il ajoute à son texte. En de rares occasions, il en profite pour se donner le beau rôle. Quant aux omissions, ce sont des descriptions de journées qui lui semblent ne rien apporter au récit (Gauthier, 2006: 20-23)..
Les quatre versions du journal sont disponibles dans le Fonds Lorenzo Létourneau (Cote P310), à Bibliothèque et Archives nationales du Québec, à Québec. On trouve également dans ce fonds des lettres échangées par Lorenzo Létourneau avec son frère Séverin et avec sa mère, un certificat de travail, un acte de vente de droits miniers, une carte mortuaire et une photographie de son ami et compagnon d’aventures Domina de Montigny.
Postérité de l’œuvre
Le journal de Lorenzo Létourneau est connu au Québec par ceux et celles qui s’intéressent à la ruée vers l’or du Klondike. Ainsi, Jeanne Pomerleau (1997: 107-251) en a-t-elle fait bon usage dans son excellent Les chercheurs d’or. Elle en reproduit d’ailleurs des extraits. Puis, en novembre 2012, dans sa série sur les ruées vers l’or, à l’émission radiophonique La tête ailleurs, le journaliste Georges-Hébert Germain a présenté le «Journal de nos aventures au Klondike», à partir de ceux de Létourneau et de Simard8Émission diffusée sur ICI http://ici.radio-canada.ca/emissions/la_tete_ailleurs/2012-2013/chronique.asp?idChronique=124185 (consulté le 5 septembre 2018).. Par contre, les historiens anglophones semblent ignorer son existence.
Extraits du journal de Lorenzo Létourneau
Pour donner plus de liant aux extraits choisis, nous avons rédigé des articulations nécessaires à l’unité de l’ensemble sélectionné. Nous indiquons aussi en note la traduction des mots anglais et la signification des anglicismes et des canadianismes.
Lorenzo Létourneau entreprend d’écrire son journal le 30 mars 1898, au départ de Wrangell, en territoire américain, où il s’apprête à prendre un bateau à l’île Cottonwood. C’est pour lui et son compagnon, Domina de Montigny, le point de départ d’une «longue marche» qui mènera Lorenzo à Dawson seize mois plus tard. La première partie du voyage, du 9 janvier au 30 mars 1898, Lorenzo ne la décrira que plus tard, une fois revenu à Saint-Constant. Compte tenu des détails qu’il donne, il s’est certainement inspiré des nombreuses lettres qu’il a fait parvenir à sa famille en cours de route. C’est une narration qui est beaucoup plus travaillée que le journal comme tel. Il intitule son texte «La fièvre de l’or».
Lorenzo y relate comment, à la suite de la lecture d’un entrefilet sur la découverte d’or au Yukon et la rencontre d’un prospecteur de Saint-Rémi de Napierville qui a fait fortune, Narcisse Picotte, la fièvre de l’or s’empare de lui. En octobre 1897, il vend son roulant et ses récoltes. Puis, il prépare son départ.
À 16 h, le 10 janvier 1898, Lorenzo prend le train à Saint-Constant pour Montréal, d’où il en prend un autre à destination de Chicago. Il y reste quatre jours. En compagnie de membres de sa parenté et d’amis qui habitent la ville, il visite les points d’intérêt et il fait la fête. Le 16, il se dirige vers Saint-Paul, au Minnesota, où il passe quelques heures. Lorenzo arrive à Seattle le 22. Il la décrit comme «un grand village mal bâti au flanc d’une colline et dont les rues sont couvertes de bran de scie» (p. 48). Le lendemain matin, il part pour Victoria et y arrive le soir.
Lorenzo passe presque deux mois dans la capitale de la Colombie-Britannique. Il loge dans un hôtel qui est tenu par un cousin, Horace Poirier «qui se nomme Perry en cette ville» (p. 48). Une lettre lui apprend que Domina de Montigny, aussi de Saint-Constant, va le rejoindre. En plus de visiter Victoria, Esquimalt, Saanich et Nanaimo, Lorenzo prépare son expédition vers le Klondike. Domina arrive à Victoria le 28 février, mais il est aussitôt arrêté parce qu’on a trouvé un petit alambic dans ses bagages, ce qui retarde le départ.
Le 24 mars, Lorenzo et Domina s’embarquent enfin. Le jour suivant, le navire fait escale à Vancouver. Cinq jours plus tard, les deux hommes sont à Wrangell, en Alaska, où ils louent deux places sur le Monte Cristo, un bateau à gazoline, à destination de l’île Cottonwood, à l’embouchure de la rivière Stikine. C’est là que nous les retrouvons.
Dimanche 3 avril [1898]
Nous nous sommes pas rasés depuis que nous sommes partis de Victoria: nous ressemblons à des étudiants en médecine. Ce soir le temps se met au beau, ce qui serait grandement à souhaiter. (p. 63)
Lorenzo et Domina voyagent ensemble pendant les premiers mois dans le nord de la Colombie-Britannique. Contrairement à la majorité des prospecteurs qui font la dangereuse traversée du mont Chilcoot, ils vont vers le nord en suivant les cours d’eau. Les deux hommes apprécient leur compagnonnage.
Jeudi Saint 7 avril [1898]
Allez pas vous imaginer que nous lavons pas notre vaisselle. Nous faisons bouillir de l’eau pour échauder notre thé ou café, et le reste sert pour laver la vaisselle. Je la lave et Domina l’essuie, et cela, sans manquer un repas. Nous sommes seulement tous les deux dans notre tente, et c’est une chance parce que nous en voyons qui sont habitées par six ou sept, et nous pouvons pas nous imaginer comment ils peuvent faire pour faire leur ordinaire et se coucher. Les meilleurs partis sont de deux. Encore une fois, je répète que nous sommes comme des bienheureux, et Domina vient de me dire que, s’il avait une femme, ce serait difficile de désirer plus belle vie. Il est vrai que cette vie nous met pas grand monnaie dans notre gousset, mais c’est difficile d’aller plus vite que le violon, parce que la rivière est impraticable, et je crois qu’elle sera pas navigable en canot avant le 25 avril. (p. 67)
Quand une catastrophe frappe au Klondike, le sens de l’isolement est grand.
Lundi 11 avril [1898]
Il [Domina] a appris à l’île qu’il y avait au-dessus de 100 personnes écrasées par une avalanche dans les passes. Nous sommes inquiets pour les MM. Gibeau, Trudeau et Lanouette ainsi que pour la crowd Desroches9Groupe de voyageurs désignés par le nom de leur chef, un certain Desroches.. Ils devaient passer par la Chilcoot, et il paraît que c’est dans cette passe que le malheur est arrivé. Nous entendons souvent descendre ces avalanches des montagnes qui nous entourent et rien que le bruit nous effraie. À plus forte raison, ceux qui ont vu engloutir leurs amis à quelques pas d’eux auraient voulu ne jamais avoir entendu parler du Klondyke et de ses trésors. Nous sommes ici loin de toute communication. Peut-être, dans quelques mois d’ici, nous serons bien surpris de tout ce qui se passe et de tout ce qui est arrivé depuis que nous avons laissé Victoria. Un de ceux qui campent le long de la rivière est venu accoster Domina et lui a demandé s’il avait entendu parler de la guerre10Lorenzo réfère à la possibilité d’un conflit armé entre l’Espagne et les États-Unis, dont on parle à partir de la mi-février 1898.. Les différents pays peuvent se massacrer les uns les autres tandis que nous serons tout à fait ignorants de ces choses-là. (p. 70)
Ce sentiment d’être loin de tout explique pourquoi Lorenzo est tellement heureux quand il revoit des hommes du pays. Les Canadiens français du Klondike entretiennent beaucoup de relations sociales entre eux.
Vendredi 29 avril [1898]
Cet après-midi, vers 3 heures, nous avons vu venir un petit tug et ensuite autour de ce tug11Remorqueur. il y avait plusieurs canots attachés. En passant vis-à-vis nous, nous avons entendu parler français et, comme ils ont arrêté quelques arpents plus haut, nous avons tout de suite mis notre canot à l’eau pour aller leur parler. En arrivant nous en connaissions pas, mais Mr. Beaudin, anciennement de Ste-Martine, s’est fait de suite reconnaître. Je me rappelle l’avoir déjà vu, et cela nous a bien fait plaisir de le rencontrer. (p. 81)Jeudi 5 mai [1898]
Nous sommes une vingtaine de Canadiens français, et nous nous visitons de tente en tente. Ce soir, nous avons veillé dans la tente de ceux avec qui nous sommes venus. Nous avons veillé jusqu’à minuit, et nous avons ri à nous en tenir les côtes. (p. 85)
Lorenzo relate souvent les conditions difficiles que lui et ses compagnons doivent affronter.
Lundi 30 mai [1898]
La route était un peu plus belle aujourd’hui, mais toujours des swamps12Marécages. de temps à autre, et nous avons sué beaucoup plus que les jours d’auparavant. Si nous voulions nous reposer quelques minutes, les maringouins nous dévoraient, et nous fatiguons autant d’essayer de s’en débarrasser qu’à marcher. Ce soir, nous avons bien moins mal aux jambes, mais nous avons quelques petites plaies sur les reins. Nous avons fait de huit à neuf milles. Vers 5 heures, il est venu un orage accompagné de tonnerre. C’est la première fois que nous l’entendons depuis l’année dernière. Ensuite, le vent est venu glacé et il nous fallait pas se reposer longtemps pour prendre froid. (p. 105)
Bien que Lorenzo et Domina trouvent d’abord le réconfort auprès de leurs compatriotes, la rigueur du milieu et l’isolement favorisent la coopération interethnique et même interconfessionnelle, ce qui aurait été inconcevable au Québec.
Jeudi 2 juin [1898]
Nous avons fait au moins quatorze milles aujourd’hui, et à 10 heures et quart nous soupons. Le creek13Ruisseau. où nous sommes est rempli de saumons. Les plus petits pèsent dix livres. En arrivant, des Anglais venaient d’en assommer un à coups de bâton et, comme nous étions trois tentes, l’ont séparé de suite en trois parties. Partout sur la route ceux que nous rencontrons… nous sommes comme des frères. Nous nous rendons service autant que nous le pouvons, à part de très rares exceptions, comme ceux par exemple qui nous ont aidés à traverser la rivière à l’eau. (p. 108)Dimanche 5 juin 1898
À 7 et demi heures, un ministre protestant a assemblé ses fidèles et ils ont commencé la prière, chant et prône. Il y avait près de 100 mineurs. Je ne sais pas si tout ce monde appartient à la même croyance, mais presque tout le monde du camp y assistait. Le prône a duré au-dessus d’une heure et il a été d’une force à faire hurler tous les chiens du camp, et l’écho de la forêt d’épinettes rouges répétait ses paroles et les transmettait aux ondes du lac. Pourtant, ce qu’il nous prêche n’est pas à repousser. Il nous conseille de toujours être frères en tout et partout, de toujours avoir une grande confiance au seigneur, dans nos plus durs travaux, et que le meilleur ami à qui nous devons toujours avoir recours, c’est Dieu. Tout le monde chantait en chœur, et on pouvait dire que c’était beau. (p. 110)
Il reste que les favoris demeurent les compatriotes, que Lorenzo appelle indistinctement Canadiens français, Canadiens et, plus rarement, Canayens.
Mardi 7 juin [1898]
Il y a ici un Canadien qui est arrivé cet après-midi au portage, du nom de Gervais. Il est le cousin de Mr. Usèbe Gervais. Le père d’Usèbe est François, et son frère (au Canadien) est Jean-Baptiste. Anciennement dix arpents en bas du village St-Isidore. Il est parti de chez lui à 24 ans et a maintenant 54. Son nom est Baptiste-Charlie-Jean-Baptiste-Pierre Gervais, etc. (p. 112)
Pour le bénéfice de ses lecteurs, c’est-à-dire les membres de sa famille, Lorenzo décrit les hommes du Klondike.
Mercredi 15 juin [1898]
Si tout le monde qu’il y a ici passait tout ensemble dans une des rues de Montréal, nous passerions pour des brigands. Nous avons tous les cheveux et la barbe longs. Nous sommes sales, charbonnés. Les pantalons, il y en a pas un seul qui n’a pas trois ou quatre déchirures, et les chemises de même. Les orteils passent à travers presque toutes les chaussures. S’il arrivait par hasard un homme avec un collet blanc haut et des bottines cirées, il serait dévoré en un clin d’œil. Domina s’est fait faire les cheveux et trimer sa barbe et sa moustache hier. Il a un pinch14Barbiche. pointu qu’il en est un peu dangereux, la moustache arrangée en tire-bouchon. Enfin, c’est un vrai petit amour. Il devrait faire trimer ses overalls15Vêtement de travail formé d’un pantalon et d’un plastron assemblés avec des bretelles. et son chapeau. (p. 120-121)
Au Klondike, s’alimenter constitue un défi.
Dimanche 26 juin [1898]
En se levant, Domina a été pour sortir notre chaudière de beans16Fèves au lard. de la cendre où il les avait mises la veille au soir pour les faire cuire, mais le couvert était ôté et il restait seulement quelques baves de chien au fond. Domina sautait, tempêtait, tandis que le chien s’étendait au bout de la côte. Le fait est que c’est assez décourageant, quand nous nous trouvons au bout de tout pour la nourriture et se voir arracher presque ce qui nous reste par les chiens. Aussi, les provisions et même le poisson sont assez chers ici que la cinquantaine de chiens qu’il y a à Teslin foncent partout comme des enragés. Et tout le monde craint de laisser leur tente, et nous en voyons souvent courailler les chiens à coups de bâtons sur les reins. Il nous reste dans notre sac à fleur17Farine. de quoi faire deux crêpes ce soir, et aussi deux ou trois grillades de bacon, et il en reste plus une demi-livre dans le magasin de Calbraith. Nous payons un tout petit poisson 25 cents et c’est ce qui est à meilleur marché. Nous commençons à tirer des plans et nous venons d’apprendre que les provisions pour le magasin de la Baie d’Hudson ne seront pas ici avant le 15 juillet. (p. 127)
Pour les Canadiens français, comme pour les autres, force et endurance sont deux qualités essentielles au pays de l’or.
Lundi 4 juillet [1898]
J’ai mis mon pack18Ballot. sur mon dos à 8 et demi heures ce matin. Il pèse à peu près 25 livres. Il ne m’embarrasse pas du tout. À 11 heures, je me suis écarté. Comme je ne connaissais pas encore cette route, étant venu par la rivière, j’ai pris le chemin qui mène au premier portage. Je m’en suis aperçu seulement rendu là. Ce n’est qu’à 1 heure que j’ai pu reprendre la trail19Piste ou sentier.. J’ai voulu piquer20Prendre un raccourci. Les mots en italique désignent les passages que Lorenzo a soulignés dans son manuscrit (Gauthier, 2006: 25) à travers le bois pour aller au plus court, mais je l’ai regretté. J’ai perdu de la sorte trois ou quatre milles. La route est excessivement mauvaise. J’enfonce presque continuellement un pied d’épaisseur dans les swamps. J’ai tombé à ventre là-dedans deux fois; je voulais marcher trop vite. La deuxième fois, je me suis fait mal au bras droit et je m’en suis aperçu toute la journée. Cet après-midi, la pluie a commencé à 3 heures et a continué sans relâche. J’ai toujours marché, croyant arriver à une tente pour m’abriter cette nuit, mais pas un homme sur la route. (p. 135)
Dans ces conditions, le découragement guette.
Samedi 9 juillet [1898]
Je suis content maintenant d’avoir fait le voyage que je viens de faire à Teslin et d’avoir enduré tout ce que j’ai souffert. C’est certainement difficile d’avoir plus de misères et je demande à Dieu de ne plus passer un temps comme celui que nous venons de passer. Je viens de dire que je suis content, parce que je sais maintenant ce que c’est que l’endurance et les privations, et cela me fera prendre garde pour plus tard. Je ne suis pas encore tout à fait découragé, mais nous avons été un peu blagués21On nous a un peu menti.. Il n’y a pas à en démordre. Je n’ai plus de provisions ni d’argent. J’ai encore mes habits. Mais je suis jeune, j’ai une bonne santé et jamais je croirai que je peux rien faire de bien.Je crois qu’il faut reculer jusqu’au pied du mur pour faire un bon saut. Je suis au pied du mur et je voudrais m’élancer, mais je ne sais pas trop où, et peut-être je me casserai le nez en sautant. L’hiver est bientôt venu en ce pays-ci, et c’est un hiver froid et noir. (p. 140)
Lorenzo attend toujours impatiemment des lettres du pays natal. Lorsqu’elles arrivent, l’émotion est à son comble.
Jeudi 14 juillet [1898]
J’ai passé ma journée à me promener de la tente à la post office et de la post office22Bureau de poste. à la tente. Le maître de poste a seize sacs à débrouiller et cela lui prend du temps. Et il sait bien qu’en ce pays-ci, ça sert à rien de se dépêcher. Il y a une quarantaine de personnes qui attendent étendues à plat ventre devant le bureau de la poste. Enfin, vers 4 heures, j’en vois passer en lisant leurs lettres. Je cours à la poste, je demande si je peux avoir mes lettres qui sont adressées à Teslin. On me répond oui. Je suis content, mais qu’elles soient adressées à Teslin ou à Paris, je suis pas plus avancé. J’en ai pas une. C’est vraiment ennuyant. (p. 142)
Mercredi 15 juillet [1898]
Je me suis dit en me levant, je retourne au bureau de poste et je donne mon nom écrit, et il me semble que je devrais avoir une ou quelques lettres. [Ce] qui fut dit fut fait. De suite après déjeuner, je vais encore demander en montrant mon nom, et cette fois il me remet une lettre. Enfin. C’est la première depuis le 20 mars. Je la décachette. Je vois qu’elle vient de maman. Mais, pour mieux la lire, je me dépêche de me rendre à la tente. Je cours presque et je tiens ma lettre très serrée dans ma main. Je rentre dans la tente en criant: une lettre de maman et je commence à la lire. La première page m’apprend deux heureuses nouvelles: j’ai un beau-frère et une nièce, Andréa. Au moins, si j’avance pas à grand-chose ici, malgré que je fais mon possible, chez nous font de l’ouvrage. Et j’espère, quand j’arriverai dans ma famille, malgré peut-être ma pauvreté, mes neveux et nièces auront pas honte de m’appeler leur oncle. Je suis content que Rébecca ait donné l’exemple à mes autres sœurs et je suppose, quand je retournerai, j’aurai plus d’un beau-frère. J’ai relu ma lettre plusieurs fois aujourd’hui. Je suis maintenant tout revenu. (p. 143)
Presque chaque jour, Lorenzo commence à rédiger son journal en notant le temps qu’il fait, pour que ses lecteurs puissent mieux l’imaginer dans l’environnement du Klondike.
Lundi 31 octobre [1898]
Temps clair et froid ce matin, et la neige reprend vers midi et cesse ce soir. Mais le temps reste couvert. (p. 162)Vendredi 11 novembre [1898]
Mais aussitôt que nous avons été couchés hier soir, il a venté très fort, et le vent débarrassait les épinettes de la neige dont elles étaient chargées, et nous poudrait sur notre lit et dans le visage si nous avions le malheur de se sortir le nez. Nous avons pas beaucoup dormi de la nuit. Seulement, vers 6 heures, quand le vent a cessé, nous avons refait un bon feu et nous avons bien dormi une couple d’heures. (p. 167)
Lorenzo passe son premier temps des Fêtes au pays de l’or.
Samedi 24 décembre [1898]
J’aurais bien aimé à être dans les rues de Montréal aujourd’hui. Ou plutôt non, j’aime autant être ici, parce que, là-bas, j’aimerais à avoir ci, j’aimerais à acheter ça, tandis qu’ici, c’est à peine si nous allons nous débarbouiller un peu et Christmas23Noël. sera passé. (p. 187)Vendredi 30 décembre [1898]
Et nous commençons à s’apercevoir et nous dire que le jour de l’An est proche et que, plutôt qu’être ici, nous devrions être au milieu de nos parents et amis. Mais nous nous disons: «Parlons pas de ces choses-là: c’est beaucoup mieux.» Et préparons ensuite notre souper. (p. 195)Dimanche 1er janvier [1899]
Jour de l’an
Home, sweet home24Son chez soi..
Bonne et heureuse année à tous, parents et amis. Je souhaite que jamais un de mes parents ou amis passe une année semblable à cette année 1898 que je suis content de voir passée. Je demande à Dieu à m’exempter une année semblable en 1899. (p. 197)
Quand Lorenzo peut parler des gens du pays, ça le rend moins seul.
Samedi 14 janvier [1899]
Cet après-midi, j’ai causé longtemps des connaissances de St-Constant avec mon vieux Vital Lefort. Plusieurs y ont passé. Les Monchamp, les Longtin de la Petite-Côte, enfin une vingtaine de connaissances y ont passé. Le vieux Vital a été à St-Constant en 1877 et parle d’y aller encore une autre fois avant de mourir. Il est âgé de 65 ans. (p. 203)
Quand le travail manque, quand ils ne sont pas sur la piste, les hommes s’ennuient et attendent le courrier.
Mardi 17 janvier [1899]
Rien m’occupe, mais nous nous disons souvent: «Ah! si cette triste mail25Courrier. arrivait avec une douzaine de lettres de nos homes26Foyers., nous passerions nos journées à lire et relire ces lettres.» (p. 204)
Au Klondike, on s’entraide, mais il faut quand même demeurer un peu méfiant.
Mardi 31 janvier [1899]
Quelques-uns essaient de nous arracher quelques mots à propos du creek que nous avons protesté27Du ruisseau dont nous avons demandé l’exploitation des droits.. S’ils veulent savoir quelque chose, qu’ils fassent comme nous. (p. 211)
Une autre façon de se désennuyer est la lecture des journaux, particulièrement celle des feuilletons.
Jeudi 2 février [1899]
Après avoir déjeuné et fait notre petit ménage, je me suis remis à lire le feuilleton du Monde. Nous y sommes intéressés au plus haut degré (à 54° en bas). J’ai lu jusqu’à 2 heures p.m. (p. 212)Vendredi 3 février [1899]
À 10 heures a.m., je me suis remis à lire «Les Batailles de l’amour» à haute voix et, à part la préparation du souper, j’ai lu tout le temps. Brodeur et Bergeron me forcent à lire et j’ai lu jusqu’à 1 heure après minuit. Nous sommes de ce temps-ci remplis d’amour. (p. 213)
Lorenzo est plus instruit que ses compagnons. Il leur lit les journaux et, à l’occasion, il rédige leurs lettres. Il a même des talents de dessinateur de cartes géographiques.
Dimanche 5 février [1899]
J’ai fait encore une autre map28Carte. ce soir. À la fin, je crois que tout le monde en aura. Celle-ci est pour Bob Spence, l’hôtelier, de sorte que les quatre saloons qu’il y a ici à Teslin ont chacun la leur. (p. 214)
Lorenzo reçoit d’autres lettres, dont une de sa petite amie, Reine. Elles sont source de réconfort et aussi de fierté.
Jeudi 16 février [1899]
Comme de coutume en de pareilles circonstances, je suis arrivé à notre cabine tambour battant et en sautant comme un caribou. Il y avait six Canadiens français dans ma cabine. Je crie: «Huit lettres pour moi.» De suite, ils courent chez Wright, mais bernique, pas une seule lettre pour eux, pas non plus pour Brodeur qui est au désespoir. Et moi de lire, lire et lire encore. Des nouvelles en masse des découragés du Klondyke retournés, des mariages, des mortalités, enfin tout. (p. 220)Vendredi 17 février [1899]
Plusieurs ont reçu des lettres; 632 lettres en tout sont arrivées. Quelques-uns en ont reçu jusqu’à 36 hier soir. Moi, je suis tout de même content de mon lot, mais je dirais aujourd’hui: j’aurais dû en décacheter une seule par jour pendant huit jours. Je ne sais pas pourquoi, mais il me semble que ça aurait été mieux. J’ai relu mes lettres cet avant-midi et, quand je sors mon paquet de lettres, les autres me jalousent. Bergeron, qui se dit grand homme d’affaires à Minneapolis et s’attendait de recevoir un sac complet de mail, a rien du tout et enrage. (p. 221)Samedi 18 février [1899]
Cet après-midi, j’ai encore relu mes lettres. J’en ai fait lire quelques-unes à Brodeur pour le désennuyer, mais il a bien de la peine de ne pas en recevoir au moins de sa femme. (p. 222)Lundi 20 février [1899]
On nous dit qu’il vient encore de la mail. Il est bien vrai de dire que plus on en a, plus on voudrait en avoir. Parce que cela me ferait encore un beau velours si je recevais encore quelques lettres. Je dis cela à mes amis pour un peu les narguer, mais, comme de raison, ils me trouvent un peu trop exigeant. (p. 223)
Lire les lettres des membres de la famille, c’est aussi confronter leurs attentes avec la dure réalité.
Samedi 11 mars [1899]
Chez moi entretiennent toujours de belles espérances sur mon compte et cela m’attriste beaucoup quand je pense que je ne suis pas plus avancé en besogne que je suis aujourd’hui. On se fait des illusions, mais est-ce qu’il y a que moi qui est dans cette triste position? Non, et c’est pour me dire à moi, franchement, ce qui me console un peu. Je suis en route pour déjà près d’une année. Je suis pas encore tout à fait rendu, mais, si Dieu me conserve la santé, j’aurai encore assez de nerfs pour affronter encore la misère. Et dire [que] je suis venu dans ce triste pays pour amasser de l’or, et il me faut en amasser, et ensuite retourner chez moi et faire dignement face à mes affaires. C’est mon seul et unique but. Voilà pourquoi j’ai entrepris ce voyage. Et je me dis aussi, avec mes parents et amis: «Lorenzo, persévère et tu réussiras.» (p. 232-233)
Le printemps ramène le soleil et l’ophtalmie des neiges.
Vendredi 7 avril [1899]
J’ai eu bien mal aux yeux aujourd’hui et la plus forte partie des voyageurs se plaignent du mal de neige. Aussi, j’ai eu beaucoup de mal à la tête et j’étais fatigué même cet avant-midi. J’étais tellement accablé que souvent je me jetais à plat ventre sur mon voyage29Traîneau. et mes chiens me traînaient tandis que je dormais quelques minutes. (p. 247)
Plus Lorenzo va vers le Nord, plus il est en contact avec des Canadiens français.
Vendredi 21 avril [1899]
Vers 4 heures p.m., le vieux Pierre Beaudin, d’heureuse mémoire, arrive dans Discovery. Il plante sa tente juste en face de la mienne. Nous sommes presque un village de Canadiens français. (p. 253)
En plus des lettres, Lorenzo se sert de son journal pour communiquer avec les siens.
Samedi 22 avril [1899]
J’envoie mon journal par cette mail. J’espère qu’à la prochaine partie de mon journal, je parlerai de mes travaux dans mon claim30Concession minière.. (p. 254)
Faute d’argent, Lorenzo est au bord de la famine. Et les perspectives ne sont guère encourageantes.
Jeudi 18 mai [1899]
Cet après-midi, je me vois dépourvu de tout. Il ne me reste plus une seule bouchée après avoir été à la ration depuis assez longtemps. Le propriétaire de nos quelques planches sciées nous apprend qu’il lui sera incapable de nous payer avant samedi soir prochain, de sorte qu’il m’a fallu aujourd’hui donner ma montre en garantie à Petit pour pouvoir me procurer quelques aliments qu’il m’a fournis pour une valeur de $5.00, mais le paquet n’est pas gros. Il ne me restait plus que quelques poignées de fleur d’avoine que j’économisais le plus possible. Triste destinée dans un pays de l’or. Après la famine à Teslin dans le cours de l’été dernier, je me rappellerai encore plus longtemps celle-ci. Je ne ressens aucun malaise. Cependant, cette privation m’amaigrit, si possible, davantage. (p. 263)Lundi 22 mai [1899]
J’ai parcouru les coins et recoins du camp Discovery. C’est tellement ennuyant que c’en est décourageant. Pas possibilité de faire quelques sous. Tout le monde cherche de l’ouvrage sans pouvoir en trouver. On nous dit qu’il n’y aura pas d’ouvrage avant l’ouverture de la saison, vers le 15 juin. Nous sommes ici environ 30 Canadiens français à ne rien faire. (p. 265)Dimanche 28 mai [1899]
Journée excessivement tranquille. Visites de tentes en tentes. Les joueurs de dames s’en donnent durant toute la journée. (p. 268)
Lorenzo est redescendu à Atlin. Il a trouvé un peu de travail, mais pas assez pour le nourrir.
Dimanche 11 juin [1899]
Je sors de sous mes couvertes. Il est 8 et demi heures. À Montréal, il est 2 heures p.m. Je repasse dans ma mémoire les beaux dimanches après-midi du mois de juin de ma chère paroisse. J’y pense et je m’ennuie. Si, au moins, il y aurait de quoi gagner ici pour acheter la nourriture. J’ai à peine de quoi manger pour me subvenir un peu. Cela me décourage après tant de misères déjà endurées. Il faut pourtant m’y résigner, puisque c’est une des conséquences de cette ambition que j’ai eue avec tant d’autres et qu’on nomme la fièvre de l’or.
Cet après-midi, avec Petit, nous nous sommes rendus sur la crique Spruce afin encore d’y trouver un emploi, mais c’est, là comme ailleurs, rien à faire et nous sommes revenus bien tristement. (p. 274-275)
Lorsqu’il traverse la frontière entre la Colombie-Britannique et les Territoires-du-Nord-Ouest, Lorenzo s’en remet à Saint-Jean-Baptiste, dont c’est l’anniversaire.
Samedi 24 juin [1899]
Les montagnes qui entourent le Taku Lake sont magnifiques. Nous devons être en ce moment à la ligne qui sépare le Nord-Ouest d’avec la Colombie-Anglaise.
Comme j’entre dans un nouveau pays que j’ai pas encore visité, je demande à Saint-Jean-Baptiste dont les Canadiens célèbrent la fête aujourd’hui de me prendre sous sa sainte protection et de me conduire à la chance au plus tôt possible. (p. 288)
Un mois plus tard, Lorenzo découvre Dawson. La petite ville compte de nombreux services, dont des offices catholiques et des saloons.
Dimanche 23 juillet [1899]
Je me suis levé à 8 heures. Après déjeuner, j’ai fait ma toilette et suis allé à la messe de 10 et demi heures. C’était la première fois depuis le 20 mars 1898. Il me semblait que je me trouvais tout à coup dans un pays civilisé et ça fait du bien, ça fait réfléchir sur le passé et nous ramène à la réalité. En sortant de l’église, j’étais content et il me semblait que ma manière de vivre allait un peu changer. Il y a pas à dire, c’est à voyager dans les pays sauvages que nous devenons sauvages bien malgré nous. (p. 310)Samedi 2 septembre [1899]
J’ai fait un lavage avant midi et je me suis rasé. Domina, C. Fyfe et N. Lanctôt sont arrivés de bûcher vers 1 heure p.m. Ils ont fini de bûcher. Nous sommes allés ensemble à la Road House31Établissement hôtelier offrant le gîte et le couvert. de Bertha prendre la goutte. McGowen était avec nous. Nous avons pris une petite brosse32Cuite., tout comme les samedis après-midi anciennement à St-Constant.
Ce soir, le père Noël est étendu sur son lit avec pas beaucoup de tête à lui, etc. Nous avons ri à nous en rendre malades. (p. 319)
Lorenzo s’installe au 17 Eldorado, où il y a du travail et où les Canadiens français continuent de se montrer très solidaires.
Samedi 9 septembre [1899]
Avant-midi, nous posons un ventilateur dans notre cabine et, après-midi, un autre bon grand châssis33Fenêtre.. De cette manière, nous aurons un air plus pur à respirer le matin en nous levant. J’ai aussi posé quelques tablettes pour notre batterie de cuisine. (p. 321)Lundi 11 septembre [1899]
Nous avons commencé à travailler à 7 heures ce matin, et toute la journée pour aplanir le terrain. Nous étions 25 hommes, à part les deux foremen34Contremaîtres.. Ce soir, j’ai plusieurs ampoules aux mains. Le métier entre. N’importe, il entre aussi d’autres choses dans le gousset. (p. 322)Lundi 9 octobre [1899]
Domina est parti ce matin pour son claim. J’ai aidé McGowen à bâtir sa maison. Nous étions une dizaine. Anthime Lamarre est arrivé sur le 17 à 5 heures du soir. Il était avec le jeune Martin du cordon, à St-Rémi. Camille Lamarre est aussi arrivé à Dawson. Ils avaient apporté deux bouteilles de brandy de St-Rémi et nous avons eu une petite partie de fun35Partie de plaisir.. Nous nous couchons à minuit. Il était minuit au temps de Dawson et 5 trois-quart heures, temps de Montréal, à la montre de Lamarre. (p. 328)
Lorenzo passe son deuxième temps des Fêtes loin de Saint-Constant.
Dimanche 24 décembre [1899]
J’ai travaillé jusqu’à 10 heures a.m., quand il m’a pris un éreintement qui m’a forcé d’abandonner l’ouvrage. Je passe la journée sur le dos dans mon lit. C’est la première fois que je suis forcé d’arrêter pour maladie. Ce soir, je suis un peu mieux.
Vers 7 heures ce soir, Frédéric Robert de la post office et Tom (Séverin) Foucrault arrivent à nos cabines. C’est un carnage d’enfer, de la boisson en masse (Merry Christmas)36Joyeux Noël.. Quant à moi, je reste à ma cabine et je laisse faire les autres.
Durant la nuit, j’entends des coups de sifflets des bouilloires sur l’Eldorado et des cris des passants. Plusieurs viennent dans nos cabines et offrent la goutte. (p. 342)Lundi 1er janvier [1900]
À minuit, tous les soufflets à vapeur de l’Eldorado, une dizaine, ont turluté durant une bonne demi-heure, accompagnés de coups de revolvers et de fusils – un vrai carnage. À une heure après minuit, je me couche, et me lève à 6 heures pour commencer l’ouvrage à 7 heures. Je reprends l’ouvrage de jour durant le mois de janvier. J’ai travaillé toute la journée dans la drift37Galerie horizontale. Une mine compte en général deux galeries pour que l’air puisse circuler. La galerie horizontale sert à la ventilation. Dans le Klondike, comme les gisements d’or se trouvent le plus souvent dans des zones accidentées, les galeries horizontales permettent aussi de les atteindre et de les exploiter plus aisément.. J’ai pas pensé au jour de l’An de la journée. Tout de même, j’aimerais savoir comment ça s’est passé chez nous. Je me couche de bonne heure. (p. 377)
À partir de 1900, Lorenzo continue d’écrire quotidiennement dans son journal, mais ses entrées sont habituellement plus courtes. Il note la température et mentionne souvent qu’il n’y a rien de spécial à signaler. Il parle du travail à la mine.
Vendredi 27 avril [1900]
Belle journée toujours un peu froide.
Je me repose toute la journée. Ce soir, nous lavons durant quatre heures. (p. 397)
Avec humour, Lorenzo raconte l’inondation de la tente où il couche avec ses compagnons.
Samedi 12 mai [1900]
Nous étions à peine tous les six couchés quand, tout à coup, notre vieux Fleury s’est écrié: «Ah! Say boys38Dites donc, les gars., mais regardez donc le milieu de la place.» En le disant, les cinq autres étaient à genoux sur nos lits pour voir se promener les boîtes, sacs, chaussons et guenilles, etc., etc., dans le milieu de la place, et ça se rencontrait par la force du courant qui entrait dans la cabane. Nos six paires de bottes en caoutchouc étaient pendues à la perche au-dessus du poêle. Il fallait en avoir au moins une paire. Comme je suis le plus jeune, je relève les jambes de mes caleçons, saute à l’eau et dépends une paire de bottes et saute dedans. Et pis ensuite, c’était les «Ah! Mon sac, hon! ma boîte, aie! ma poche, sauve ma fleur, relève ma boîte à pain». Et Schnade me criait: «Vite donc, Létourneau. Poigne donc ma boîte à linge, et pis c’est mon livre de messe qui est dans le fond, torrieu39Ancien juron qui signifie «Tort à Dieu»..» Je riais assez que les côtes m’en craquaient. Les tables étaient remplies de toutes sortes de choses, ainsi que les lits, et ça pisse l’eau. Ensuite, je suis sorti et j’ai pris une pelle. J’ai bouché le trou par où l’eau entrait et j’ai fait une chaussée pour détourner l’eau un peu. (p. 401)
Le travail dans la mine est éreintant.
Lundi 4 juin [1900]
J’ai travaillé toute la journée. J’ai terriblement mal aux bras et aux mains à pelleter dans la roche, et plusieurs sont comme moi. (p. 406)
Le sous-sol du Yukon ne recèle pas seulement d’or. Il contient aussi du quartz.
Jeudi 21 juin [1900]
À 1 heure après midi seulement, nous pouvons avoir nos papiers, tant il y a du monde pour enregistrer les claims de quartz, mais nous en rions: nous avons les premiers après les découvreurs? Qu’en résultera-t-il, de cette mine de quartz? Peut-être comme les autres – Rien. (p. 411)
Le travail sur les différentes concessions varie.
Samedi 30 juin [1900]
Ces travaux d’été sur le claim no 14 Bonanza se font à découvert, c’est-à-dire que le bedrock40Substrat rocheux. Habituellement, ancien lit d’un cours d’eau qui coule désormais plus bas. C’est là que les prospecteurs peuvent trouver de l’or, qui est retenu par le gravier recouvrant le substrat. étant à une profondeur d’une dizaine de pieds seulement, il est impossible d’exploiter ce claim de la même manière que celui du 17 Eldorado où le bedrock est à une profondeur de 20 à 22 pieds. Le travail sur le 14 Bonanza est moins pénible pour les mineurs parce qu’il se fait au dehors. Le lavage de la terre se fait ici au fur et à mesure que les chars qui en sont remplis sortent de la tranchée. (p. 414)
Le temps passe et Lorenzo s’ennuie toujours autant, sinon plus, des siens et de Saint-Constant. Recevoir des lettres continue de l’émouvoir.
Dimanche 8 juillet [1900]
Une lettre de maman, deux de Séverin, une de ma petite belle-sœur Antonine, une autre de ma sœur Clarinthe. J’en revenais pas – autant de monde du même coup. Jusqu’à la petite Albertine du magasin du coin du village St-Constant qui s’en est mêlée. Toutes ces lettres m’ont assez … ébranlé pour me faire un peu pleurer. (p. 416)
Comme il est instruit, Lorenzo peut travailler à la tenue de livres.
Lundi 6 août [1900]
J’ai travaillé toute la journée dans les livres. Les livres de la compagnie Tremblay & Simard sont un vrai ratafia41Sont dans un grand état de confusion. que j’aurai de la peine à débrouiller. Mais il va falloir éclaircir et deviner peut-être bien des choses. (p. 420)
Puis, il devient temporairement contremaître, ce qui le remplit de fierté.
Vendredi 17 août [1900]
Je suis allé à Grand-Forks payer un bill de freight42Fret. pour la compagnie du 14 cet avant-midi, et après-midi j’ai nettoyé de l’or avec Gravel. Émile Picotte est parti après midi pour Dawson par affaires. Il m’a chargé de le remplacer le temps qu’il sera à Dawson. Ce soir, je suis … foreman des hommes de nuit. Vraiment, je me surprends moi-même. Je monte en grade. Pourvu que je ne retombe pas trop fort, si je viens une fois à tomber. (p. 423)Samedi 18 août [1900]
Belle journée.
Mes hommes paraissent assez satisfaits de leur boss43Patron.. Pro tempore, tout a bien été. J’ai dormi tout l’avant-midi. Je me suis levé à midi pour lire quelques journaux que j’ai reçus ce matin de mon frère. Ce soir, je reprends ma place de boss. Émile Picotte arrive de Dawson vers 5 heures ce soir. (p. 423)Dimanche 19 août [1900]
Temps frais, pluie le soir.
J’ai passé la nuit debout à watcher44Surveiller. mes hommes. Brrr. C’est pas fatiguant, mais c’est pas réchauffant. Je pourrai toujours me vanter d’avoir commandé à une vingtaine d’hommes dans une des riches mines d’or du Klondyke.
J’ai passé une partie de l’avant-midi dans les livres pour les trois compagnies. J’ai dormi le reste de la journée. Une riche clean-up45Nettoyage des boîtes pour récupérer l’or accumulé à la suite du lavage de la terre aurifère. ce soir. Nous avons payé plusieurs hommes ce soir, ce qui m’a occupé toute la veillée. J’ai remis ma charge de boss entre les mains d’Émile. (p. 423)
L’arrivée d’hommes du pays continue à être prétexte à célébration.
Dimanche 2 septembre [1900]
Ce soir, il est arrivé quatre jeunes Canadiens du Montana. Parmi eux se trouvent un jeune Létourneau de St-Rémi et un jeune Pigeon, aussi de St-Rémi. À l’occasion de leur arrivée, il y eut grand bal ce soir, chansons canadiennes, etc., etc., jusqu’à minuit. (p. 426)
Lorsqu’une épidémie se fait jour, les autorités tentent de l’enrayer en interdisant les communications.
Dimanche 30 septembre [1900]
Je suis parti à 9 et demi heures a.m. À à peu près deux milles de Dawson, j’apprends que la police a barré le chemin pour empêcher la circulation entre Dawson et la Fourche. On me dit qu’il y a huit cas de picote46La picote est le terme familier pour la varicelle. à la fourche et un autre sur le 27 Eldorado. C’est critique, mais je me décourage pas pour tout ça. Je continue mon chemin quand même. Vers le 75 Bonanza, j’apprends que la barrière est au 18 Bonanza. J’ai presque eu envie de retourner à Dawson. Mais, comme je pense que les choses peuvent empirer, j’aime mieux être chez moi, c’est-à-dire sur le 17. Je fonce, mais le monde reviennent sur leurs pas à plein chemin. Quelques-uns me disent que je suis mieux de virer. Mais, vers le 30, je monte un petit creek qui tombe dans le Bonanza, le Monte Cristo. Je le suis comme un mille. Ensuite, je prends les montagnes, bien décidé d’arriver par là au 17. Il y a mauvais … des swamps, des creeks à traverser, des montagnes à monter et à descendre. Enfin, j’arrive vis-à-vis le 17 et je me rends là à 6 heures ce soir, assez fatigué. Les gens du 17 sont surpris de me voir arriver. Ils me pensaient à Dawson pour y rester une partie de l’hiver. (p. 432)
Le talent de Lorenzo et son esprit entrepreneurial font des envieux. En août, des compatriotes de Saint-Rémi qui voudraient obtenir la comptabilité des concessions de Narcisse Picotte lui font perdre sa position, probablement en colportant des faussetés à son sujet. Il n’en relate rien dans son journal avant le 26 octobre, sans doute parce qu’il éprouve honte et colère.
Vendredi 26 octobre [1900]
Émile est venu ici cet avant-midi. Grande discussion à propos des liche-c.47Lèche-cul. qui m’ont rapporté à Narcisse Picotte au mois d’août dernier et qui ont été la cause qu’il a envoyé un de ses frères prendre ma place comme teneurs de livres. Quelques-uns disent: «c’est vrai», d’autres «non», et ceci amène d’autres chicanes entre B. Bédard et Anthime Schade. (p. 436)
Même s’il est loin, Lorenzo s’intéresse à la politique canadienne et américaine.
Mardi 6 novembre [1900]
Élections aux États-Unis entre McKinley et Bryan. J’espère que les démocrates l’emporteront, tandis que Guilbault a une grande confiance à la réélection de McKinley. (p. 438)
Grand lecteur, Lorenzo lit tout ce qui lui tombe sous la main.
Mardi 13 novembre [1900]
J’ai passé la journée à lire dans ma cabane des livres anglais que Bill Anderson, le mécanicien du 17, m’a apportés hier soir, et j’ai débité un peu de bois. (p. 439)
Samedi 24 novembre [1900]
Je suis allé à la mail. Toujours rien. J’ai retiré des journaux pour de Montigny. La première nouvelle que j’apprends: que Parent, maire de la ville de Québec, est nommé Premier ministre de la province. J’ai passé la journée à lire. (p. 441)
Lorenzo salue la fin du XIXe siècle.
Dimanche 30 décembre [1900]
Dernier dimanche de la dernière semaine du dernier mois de la dernière année du XIXe siècle. Adieu vaches, veaux. Le pot au lait est renversé. Reprenons-nous.
Comme de coutume, dormir le jour et travailler fort la nuit. Quand tu seras mort, un autre prendra ta place. Sois-moi propice. Brrrrr. (p. 447)
Lorenzo gagne sa vie en travaillant pour d’autres, mais il ne renonce pas pour autant à prospecter pour lui-même.
Samedi 2 février [1901]
Vers 4 heures ce matin, Domina de Montigny avec Victor Moquin et Moïse Picotte sont descendus me voir dans la drift. Il s’agissait d’un stampede48Ruée. Espèce de course folle de dizaines, voire de centaines de prospecteurs qui veulent être les premiers à se réserver des concessions sur le site d’une découverte. sur le creek Dominion. J’ai pas pu aller avec eux ce matin parce que Moïse m’a dit que, si je m’absente trois ou quatre jours pour aller planter mes poteaux, Tom Lloyd est capable de me décharger. Comme j’ai pas envie de perdre ma place sur le 17, j’y vas pas. Mais Moïse y va et, à eux trois, ils tâcheront de faire quelque chose pour moi. Il me faudra peut-être aller à Dawson mardi matin. C’est ma dernière chance dans ce pays-ci, mais j’espère plus rien. À la grâce de Dieu. (p. 454-455)Mercredi 6 février [1901]
Nous sommes partis à 7 heures a.m. Nous suivons les sommets tout le temps. Il fait pas froid – des bons chemins, des bons chiens. C’est un voyage de plaisir. Nous arrivons à midi sur le Dominion. Je mesure mon claim de suite et plante mes poteaux. Je mange avec Moquin qui occupe sa cabane sur le no 244 Dominion. Le claim que je viens de staker49Où je viens de délimiter ma concession. porte le no 240. C’est le premier claim de «place»50C’est la meilleure concession de l’endroit. que je prends ici. Je laisse ce dernier à sa cabine et je m’en reviens.
Est-ce que j’ai claimé ma fortune51Est-ce que cette concession m’apportera la fortune?? C’est bien douteux. Mais il y a 50 pieds de terre qui cache le bedrock, Mais, tout de même, il y a des prospects d’une piastre le pan52Battée. Récipient à large bord utilisé pour le lavage du sable aurifère. tout à côté. J’ai claimé53Je me suis réservé une concession. à côté de Moïse Picotte et de Montigny. Mais par rapport à une concession pour claim hydraulique, nous aurons du trouble54Du souci. à les faire enregistrer. Je suis reparti à 1 heure p.m. pour m’en revenir, et je couche encore à Caribou Road House. La distance de mon claim à Dawson est exactement de 50 milles […] pour me rendre au 17 Eldorado. (p. 456)Mardi 26 février [1901]
À minuit juste, j’étais à mes poteaux. Tout le monde étaient à leurs poteaux. Trois coups de pistolet donnent le signal: «minuit juste». À minuit et une minute, je renouvelle mes poteaux. Partout alentour, c’est un mouvement de lumières. Chacun a sa chandelle à la main et de faire le tour au plus vite du claim afin d’être le premier, mais il paraît pas y avoir beaucoup de jumpés55Personnes qui ont pris une concession ayant déjà fait l’objet d’une concession antérieure. à l’exception de mon voisin qui a été sauté56Perdu sa concession. avant minuit. Ce sera à discuter chez le Gold Commissioner57Commissaire de l’or. Haut fonctionnaire du gouvernement canadien qui est à la fois juge de paix, juge de cour de comté, agent des Autochtones, adjoint au Commissaire des terres et des travaux publics et percepteur du revenu national sur le territoire du Yukon.. (p. 460)Jeudi 11 avril [1901]
Nous partons, Guilbault et moi, après déjeuner pour nous rendre sur nos claims, à un mille d’où nous avons couché. Nous avons examiné tout. Je vois absolument rien de dérangé. L’arpenteur est là pour mesurer quelques claims. Je fais mesurer le mien. Ensuite, je serai tranquille. Moquin me dit qu’il n’y a pas d’autre paie de trouvée58Qu’ils n’ont pas trouvé d’autre terre contenant de l’or. à part ce qu’ils ont trouvé eux. (p. 468).Vendredi 7 juin [1901]
Après dîner, nous sommes allés, Guilbault et moi, sur le Gay Gulch pour louer le petit boiler59Bouilloire. de Renaud. Il en avait besoin. Le seul arrangement que nous avons pu faire a été d’acheter la part de Renaud (la moitié du boiler). Nous avons payé $100.00. Nous avons ensuite envoyé le freighter60Frêteur. pour le chercher. Nous avons mis nos effets, outils, etc., prêts pour partir demain matin de sur le 17. Notre charretier nous charge61Nous facture. sept cents la livre. Nous avons 1 000 livres en tout. Jos Laroche est venu ce soir.
Guilbault est arrivé sur le 17 à 9h ce soir avec le boiler. Les pointes et pipes sont en très mauvais ordre. Il faut que cela soit arrangé. Nous faisons retarder le charretier pour lundi matin. (p. 481)Jeudi 13 juin [1901]
Après déjeuner, nous partons avec les outils pour commencer à creuser un shaft62Puits de mine.. Guilbault continue à travailler au shaft. Je retourne à la tente pour boulanger et cuire différentes choses. (p. 483)Samedi 15 juin [1901]
Je continue à piquer dans le muck63Creuser dans la vase noire et la mousse gelée.. Ce soir, je suis rendu à dix pieds et demi. Guilbault a continué à commencer au windlass64Treuil. et faire un bucket65Rigole ou auget qui permet de recueillir les pépites.. (p. 483)Lundi 17 juin [1901]
Beaucoup de maringouins. De suite après déjeuner, nous avons transporté notre petit boiler sur le claim, une distance d’une douzaine de 100 pieds, sur un boyard que nous avons fait exprès. Nous l’avons ensuite monté. Fité66Ajusté., allumé et réglé nos pointes. À 11h a.m., la steam67Vapeur. était à sa plus haute pression et les pointes entrées jusqu’à la tête.
Cet après-midi, Guilbault a continué à chauffer et j’ai eu soin des pointes, et commencé à nettoyer les pointes des branches qu’il y a dessus. Tout va bien. Nous menons l’affaire drue comme des gens qui savent leur métier. (p. 484)Mercredi 26 juin [1901]
Notre petit feu d’hier soir nous a donné de la terre à monter pour une couple d’heures. Ensuite, nous avons dégelé jusqu’à 1 heure. Nous avons laissé refroidir notre shaft jusqu’à 4 heures p.m. Nous en avons profité pour cuire quelques aliments. Nous avons monté de la terre jusqu’à 6 heures ce soir et posé encore les pointes une couple d’heures.
Jo Lagacé, mon voisin, est rendu à 41 pieds, c’est-à-dire au bedrock, et il y a pas de paie. Ça regarde mal pour mon claim. Il trouve trois cents du plat. C’est rien. Jos avait le visage long. Le nôtre commence à allonger. Nous nous attendons à être près du bedrock dimanche prochain. (p. 486)Vendredi 28 juin [1901]
Nous sommes à 37 pieds 3 pouces ce soir. Les pointes, à cause de la grande pression de caillou, sont plus difficiles à rentrer, et les roches me tombent sur le coco de temps à autre. Nous espérons être prêts du bedrock demain soir. (p. 487)Lundi 1er juillet [1901]
Comme de coutume, nous avons fait deux feux et monté nos deux lots de terre dégelée. Ce soir (au deuxième lot), j’ai panné68J’ai lavé le gravier à la batée. et trouvé huit à dix cents par pan69Par coup de batée.: il y avait quatre pans dans le bucket et m’a donné 25 cents. Nous sommes un peu… excités, Guilbault et moi. Est-ce que cette paie-là durera? Si oui et si elle a deux pieds d’épais, nous serions all right. Les propriétaires des claims voisins viennent nous voir et trouvent que nous avons frappé assez bien. (p. 487)Mardi 2 juillet [1901]
Après dîner, nous avons emprunté le rocker70Berceau. Il s’agit d’une boîte contenant environ deux pelletées de terre assujettie sur un berceau dont le fond est grillé. Le balancement de ce berceau se fait de la main gauche et l’eau est répandue dans la boîte en se servant de la droite. L’or est retenu dans des petites tringles à une sortie faite à une extrémité. de Moquin et nous avons lavé huit buckets de terre. Résultat: $1.25. Il nous a fallu abandonner. Le rocker est pas bon. Il perd de l’or. Nous faisons un autre feu. Je crois que les pointes ont touché le bedrock. (p. 487-488)Mercredi 3 juillet [1901]
Nous avons monté de la paie jusqu’à 11 heures a.m. Nous avons frappé le bedrock à cette heure-là. Ce bedrock est en plein de mon goût. Il paraît tenir l’or. J’ai remis les pointes pour rachever de dégeler le fond. C’est probablement notre dernier feu. J’ai rocké71Utilisé le berceau. une partie de l’après-midi. Guilbault a chauffé. J’ai comme $2.50 de nettoyé. La moitié de cet or est noir, ce qui veut dire que c’est le meilleur or du pays. C’est encore difficile à dire que c’est riche, mais nous sommes bien contents. (p. 488)Jeudi 4 juillet [1901]
Nous voulions nous rendre à Dawson pour fêter le 4 juillet, mais bernique. Nous avons monté le reste de notre terre. J’ai gratté le bedrock et un plat m’a rapporté 35 cents. Il en reste encore dans le bedrock, mais l’eau m’a empêché de mieux le nettoyer. Il reste au moins $1.00 dans les cracks72Crevasses.. Nous avons rocké le reste de notre terre cet après-midi. Nous avons pesé notre or. Le tout nous donne $8.40. Nous sommes assez satisfaits. (p. 488)Vendredi 5 juillet [1901]
Nous nous sommes levés à 6 heures. Après déjeuner, nous nous sommes rendus à notre shaft – tout mis en ordre, couvert le trou avec des branches, porté le rocker à Moquin et le windlass à Fortier, préparé notre tente et ce qu’il y a dedans, barricader notre tente afin que ni chiens, ni chevaux, ni monde y entre, et sommes partis pour l’Eldorado à 10 et demi heures. Nous arrêtons examiner quelques claims sur le Gold Run, prenons un bon dîner et ensuite en route. (p. 488-489)Samedi 6 juillet [1901]
Bill Anderson est venu me voir à midi. Nous avons parlé de mon claim. Il dit qu’il est convaincu que je suis maintenant all right73Correct.. Il dit que j’ai peut-être pas une fortune en main. Mais que, si je run74Gère. mon affaire comme il faut, il est certain que j’aurai un joli «homestake» dans une couple d’années. Bill m’a ensuite demandé si je voulais travailler sur le 17 une couple de mois, qu’il aimerait à m’avoir aux pointes. J’ai pas voulu manquer cette offre-là. C’est un 5 ou 600 piastres que je perdrai et c’est en plein ce qu’il me faut pour m’aider à partir mon claim avec ce que j’ai déjà. (p. 489)
Toutefois, Lorenzo est inquiet pour l’avenir.
Samedi 20 juillet [1901]
Comme je brassais ma fricassée sur le poêle dans ma cabane ce matin, un petit oiseau gris est entré par la porte entrouverte et [est] venu se poser sur le couvercle de ma théière. Il m’a regardé une couple de secondes et est reparti du même train. J’ai resté un peu surpris et je me suis dit: «Est-ce bon ou mauvais signe?» J’en sais encore rien. (p. 493)
Et parfois il y a la malchance qui frappe, ou bien la chance qui revient.
Samedi 17 août [1901]
J’étais comme de coutume à mes pointes hier soir. J’en tapais une quand, vers 10 heures, l’eau m’a paru sortir de la grosseur du doigt vis-à-vis le bout d’une pointe. Je sors la pointe. L’eau continuait à couler. De suite, j’étais certain que je venais de frapper les vieilles drifts. Je cours en haut donner quelques coups de sifflet pour donner l’alarme et je retourne dans la drift pour essayer à bloquer le trou. Mais c’était inutile. Le trou agrandissait toujours. Le vieux Peterson (boss) descend aussi, tout effarouché. Nous essayons ensemble de bloquer, mais l’eau augmentait tout le temps. De suite, j’ai vu que c’était fini et j’ai travaillé pour tout sauver la drift – pointes, pipes75Tuyaux., pics, pelles, etc. Le vieux Peterson était plus boss. Il faisait tout par mes ordres, et vite aussi. Le bonhomme est presque fou. Il se lamentait. Durant une demi-heure, j’ai couru ici et là, et enfin tout était sorti. C’était comme un vrai tremblement de terre. L’eau roulait avec le gravier. En une heure, l’eau avait atteint six pieds de haut.
À minuit, il y avait une vingtaine de gens autour de la shop76Atelier. avec le vieux Jim qui était plein comme un œuf. Nous avons placé le pulsometer77Pulsomètre. et le siphon, mais cela sert à rien. L’eau hausse toujours.
À 3 heures ce matin, je suis venu me coucher. J’ai fini sur le 17. Je me suis levé à 7 heures ce matin. Les travaillants sont comme de coutume à la shop, mais ils ont le visage long. C’est bien fini. (p. 500)Dimanche 18 août [1901]
Cet après-midi, je me promenais dans les rues quand, tout à coup, je m’aperçois que mon sac d’or qui contenait $300.00 était plus dans mes poches. J’ai failli tomber à la renverse. J’étais avec Guilbault. En réfléchissant, je trouve tout à coup que je l’avais laissé sous mon oreiller dans ma chambre de la Road House où j’avais couché la nuit précédente. En trois sauts, j’y étais rendu. Je m’informe au vieux Canadien qui fait les chambres et il m’a remis mon sac en riant. Je l’ai pesé et il en manquait pas un grain. Chanceux. (p. 501)
Lorenzo et son associé, Guilbault, obtiennent une autre concession, sur le Flat.
Jeudi 5 septembre [1901]
J’ai achevé de nettoyer le claim cet avant-midi. Guilbault a nettoyé la place pour mettre notre cabane. Cet après-midi, nous avons ensemble charroyé du bois sur notre dos près de notre shaft. Ce bois servira à notre boiler quand Domina en aura fini. (p. 505)Lundi 9 septembre [1901]
Nous avons achevé de descendre nos logs78Troncs d’arbre employés pour les travaux de construction. de sur le versant de la montagne. Cet après-midi, nous avons commencé à les traverser le Flat pour les rendre à notre claim (1 500 pieds distance). Mais il nous a fallu abandonner pour arranger un chemin. Le cheval enfonçait aux côtes par places. Nous avons ponté les coupes avec des branches et de la mousse, et je crois que nous les réussirons en les rendant une par une. (p. 507)Vendredi 27 septembre [1901]
Nous travaillons toujours dans notre shaft. Guilbault est à la manivelle et je passe la journée au fond du puits à emplir les buckets ou, lorsque toute la terre est montée, à poser et avoir soin de mes pointes. Quand j’en sors le midi, je suis trempé jusqu’aux os. L’eau coule tout alentour. J’ai hâte d’être rendu au fond. (p. 512)Mardi 15 octobre [1901]
Nous avons sorti de la terre jusqu’à midi. J’ai lavé plusieurs plats qui ont donné de deux, trois, cinq, huit, dix jusqu’à 20 cents. Mais la paie est mince, beaucoup plus mince que le premier shaft. De sorte que c’est pas riche. Je vais toujours drifter79Creuser une galerie souterraine. un peu cet hiver et je tâcherai de guetter ma chance pour le vendre pour ce que je trouverai. Je sais maintenant ce que vaut mon claim (Pas cher).
Après bien de la fatigue, des dépenses d’argent et de temps. Voilà le résultat. Faut bien prendre ma médecine80Accepter. sans trop gronder. (p. 515-516)
Lorenzo continue à chercher des concessions qui pourraient receler de l’or, mais il doute que le jeu en vaille la chandelle.
Vendredi 8 novembre [1901]
Je suis content d’avoir vu cette partie du pays, mais je ferai pas enregistrer mes deux fractions81Parties de concession.. Si j’étais à Dawson, j’essayerais. Mais pour faire encore 100 milles pour se faire dire par les messieurs du gouvernement que ce terrain-là est pas vacant, je suis pas pressé. Je suis content d’être allé sur le Montana, mais j’y ai pas grande confiance. (p. 521)Jeudi 19 décembre [1901]
Après déjeuner, nous avons fait un coude au tuyau aérateur et, vers 10h a.m., nous sommes allés sur le Gold Run. J’ai fait faire trois Bills of Sale82Actes de vente.: le quart du 240 (ici) que j’achète de Guilbault pour $1 000.00; une moitié sur le Duncan Creek; et un quart sur le Parent Creek que Rougeau me cède. (p. 531)
Cependant, il reçoit une mauvaise nouvelle: ses droits sont contestés.
Dimanche 29 décembre [1901]
Laroche, mon voisin, est venu m’annoncer ce soir que leurs claims, y compris le mien, allaient tous être protestés83Contestés. d’ici à quelques jours. Même que notre procès aura lieu le 27 janvier prochain. C’est Bélanger, un de ses associés, qui rapporte cela de Dawson. Tous les claims de Day sont aussi dans la sauce, mais je peux pas encore y croire. Il me semble que cela se peut pas ou bien il y a pas de loi dans ce pays-ci. J’y croirai quand j’aurai reçu mon protêt. (p. 533)Jeudi 2 janvier [1902]
Nous avons sorti de la terre jusqu’à 2 heures p.m. Ensuite, je suis allé sur le Gold Run voir le Mine Inspector84Inspecteur des Mines. Reed. Il m’a dit que les protêts contre les nos 240 et 241 seront servis dans quelques jours et que le procès sera le 27 janvier.
Après souper, nous avons décidé, Chouinard et moi, de suspendre les travaux jusqu’à ce que ce différend soit settlé85Tranché.. Je descendrai peut-être à Dawson ces jours-ci pour voir comment les choses sont arrangées et avoir une consultation d’avocat. Guilbault sera peut-être de retour ce soir de Dawson. Je saurai de lui ce qui amène son procès et cela m’exemptera, je crois, un voyage à Dawson. (p. 535)Vendredi 7 février [1902]
Ce soir, j’apprends par Landry que notre procès est presque gagné. Les derniers témoins qui ont été entendus mardi dernier ont tout détruit les évidences de l’autre côté. Le plaidoyer86La plaidoirie. sera lundi prochain. (p. 545)
Lorenzo continue à travailler sur sa concession du Flat.
Lundi 10 février [1902]
Nous avons sorti de la terre durant toute la journée. J’ai lavé deux plats et un bucket. Le bucket m’a donné 30 cents et les deux plats ensemble 80 cents: ça pourrait être mieux. Ce qui me décourage le plus, c’est que ceux qui percent au bedrock depuis quelque temps sont dans une direction tout à fait à côté de mon claim et trouvent de la bonne paie. Cela me fait l’effet d’un trait de flèche qui m’effleurerait. Cela regarde mal aux yeux des acheteurs. En prenant une droite direction de la paie, mon claim serait tout à fait en dehors. C’est décourageant, mais faut bien l’endurer. (p. 546)
Malgré les embûches et le manque de progrès dans sa situation financière, Lorenzo pense encore à acquérir des concessions et peut-être devenir riche.
Jeudi 27 février [1902]
Cet après-midi, j’ai examiné du terrain où je croyais me prendre une fraction de claim. J’en suis pas encore certain. J’y retournerai quand je verrai personne autour afin de ne pas donner l’éveil. (p. 549)Lundi 3 mars [1902]
J’étais au concert ce soir. C’était ennuyant. Je repassais ma vie au Klondyke et je me disais qu’après tout j’étais aussi pauvre, peut-être plus même, que le jour où je suis arrivé à Dawson. Que me sert-il de travailler comme un esclave et ménager mon argent? Je repassais tout cela quand Boromé Renaud vient en arrière me mettre la main sur l’épaule en me disant à l’oreille: «Létourneau, je viens de recevoir un téléphone du bas du Dominion par Besner qui me dit que le Duncan Creek est tourné riche.» Une planche jetée à un noyé en lui criant: «Sauve-toi!» serait une pas meilleure comparaison. Maintenant, j’ai cette planche de salut! Est-ce qu’elle m’échappera aussi? Patience. (p. 551)
Mais ses concessions ne recelant pas beaucoup d’or, Lorenzo commence à penser qu’il n’a plus rien à faire au Klondike.
Vendredi 13 juin [1902]
Oh! si je pouvais donc vendre avant l’automne. Un an aujourd’hui que je faisais les premiers travaux sur mon claim. Si j’avais jamais mis les pieds dessus, je serais beaucoup mieux. Mais il y a rien comme essayer. (p. 571)
C’est la possibilité de se délester de la terre familiale pour un bon prix qui le convainc de quitter le Klondike.
Dimanche 15 juin [1902]
J’ai écrit une lettre à maman cette nuit. J’aurais bien aimé lui apprendre que je laissais le Klondyke.
Mais Dieu le permet pas encore.
J’ai dormi toute la journée. À l’ouvrage ce soir.
J’ai reçu une lettre de Séverin. Il m’annonce qu’Emery Robidoux offre 13 000$ pour la terre. C’est un beau prix. J’y ai pensé toute la nuit et j’ai décidé qu’il valait mieux vendre et profiter de cette offre-là. (p. 572)Mardi 17 juin [1902]
Hier soir, j’ai rédigé un télégramme que Lefebvre m’apportera à Dawson demain matin pour envoyer à Séverin: «Refuse pas l’offre d’Emery Robidoux.» Il me semblait que je me trouvais encore plus pauvre que de coutume. Ma terre, la terre paternelle vendue! Mais pourtant je me devrais dire plus riche: mes dettes seront payées.
Ma terre vendue, il me semble que j’ai plus rien à faire par ici. Dieu m’est témoin que j’ai fait mon possible pour arriver à me faire quelques 1 000 piastres pour payer mes dettes. Mais, encore une fois, impossible.
De son côté, Séverin a tenu bon, a fait face à tout, en me rendant compte de tout, même de ses espérances à pouvoir garder la terre. Lui aussi, j’en suis certain, a fait l’impossible chez moi. Ce qui me fait le plus de peine maintenant, c’est que j’aurais voulu être avec maman et mes sœurs quand elles laisseront notre cher vieux home. Mais j’arriverai trop tard, à moins que Séverin, malgré le télégramme qu’il aura reçu, persiste encore à vouloir gagner du temps. Mais je crois qu’il fera mal s’il refuse l’offre de Robidoux. (p. 573)
Guilbault, l’ancien associé de Lorenzo et de plusieurs autres prospecteurs, est passé en territoire américain sans payer ses dettes et avec de l’argent volé, environ 2 000$. Lorenzo perd 200$ et il est soupçonné pendant un temps d’être le complice de Guilbault.
Samedi 12 juillet [1902]
Je suis questionné par les associés de Guilbault à toute minute, vu que j’ai ses livres. On me lâche pas d’un pouce.
J’ai passé l’avant-midi à tout mettre correct et j’ai ensuite confronté mes livres avec ceux de Berna et les doutes sur mon compte sont passés. On me croyait capable d’avoir aidé Guilbault à s’approprier l’argent en mains et ensuite lui avoir donné l’erre d’aller87Il s’agit d’un canadianisme qui signifie «en continuant sur sa lancée, en utilisant l’élan initial».. Mais j’aurais eu la précaution de me payer moi-même avant qu’il parte. (p. 580)
Finalement, après avoir vendu ses concessions à bas prix, Lorenzo repart.
Samedi 2 août [1902]
J’ai écrit quelques lettres pour de Montigny et Robert et, à 8 heures a.m., je faisais mes adieux aux amis et «goodbye88Au revoir.» au Flat. Je suis parti à 9 heures de ma cabane encore garnie de provisions, outils, etc., n’emportant absolument rien, et qui ne me serait [d’]aucune utilité plus tard.
Cela m’a fait l’effet, il me semble, d’un prisonnier qui a purgé une sentence de cinq années au pénitencier. J’ai retiré la balance de mon argent en passant sur le Gold Run. J’ai couché à la Fourche à 2 heures a.m. passablement fatigué. (p. 585)Mardi 12 août [1902]
Nous commençons à se faire chauffer par un soleil plus chaud. La mer est comme un beau miroir. Notre passe-temps est de regarder jouer les dauphins autour du navire. Avec ma lunette, je peux aussi distinguer les mouvements des baleines, et il y a des endroits où il y en a beaucoup. Il y a aussi beaucoup de pêcheurs au saumon le long de la côte et aussi plusieurs canneries89Conserveries. au saumon. (p. 589)
Partout, Lorenzo note la désolation de l’après ruée vers l’or.
Jeudi 14 août [1902]
À 7 heures ce soir, nous accostons une place nommée Metlakahtla. Nous y sommes trois heures à charger 3 000 caisses de saumon. C’est un beau et grand village, très bien bâti, une belle grande église anglaise, plusieurs grands édifices publics, mais tout cela est maintenant occupé seulement par les Sauvages, et il y en a en masse ici. (p. 593)
Lorenzo décrit les territoires qu’il parcourt.
Mardi 19 août [1902]
À 8 et demi heures, nous partions de Portland. L’État de l’Oregon est peu peuplé au nord, l’est au milieu par une population de fermiers de première classe, l’est peu au sud à cause des très hautes montagnes que nous commençons à traverser vers le coucher du soleil. Le blé et l’avoine sont en abondance dans l’Oregon, à en juger par les quintaux. Les fruits sont les grosses prunes bleues, poires et pommes. Le houblon est aussi cultivé en grand, et c’est joli à voir, un grand champ de houblon. Je me couche à 9 et demi heures très fatigué, mais j’ai un lit numéro 1 et je vais pouvoir me reposer à mon goût. (p 596)Dimanche 24 août [1902]
Le Nevada est un pays assez dénudé, c’est-à-dire l’Ouest. Autour de Reno, il y a une jolie vallée où il y a de très belles fermes. Mais cela arrive pas du tout avec la vallée de Sacramento. (p. 598)Mardi 26 août [1902]
11 heures a.m. Nous sommes dans le Nebraska, un très bel État. Belles fermes, beaux troupeaux, belles résidences, des champs de blé d’inde à perte de vue, grain, foin, etc. Nous arrêtons à la rivière Platte à 11 heures a.m. Nous sommes dans la vallée de Missouri. Il pleut.
Nous volons d’une ville à l’autre et les distances sont pas longues entre elles. C’est curieux de voir comme une place qui, on dirait, a pas les moindres ressources et possède des populations semblables: de très belles villes que nous passons à toutes les demi-heures ou heures. Ces villes sont toutes éclairées à l’électricité, de très belles rues bien pavées et des édifices publics qui feraient envie à de plus grandes cités. (p. 600)
Et le train arrive enfin au Canada.
Jeudi 28 août [1902]
Ce soir, je serai avec mes gens.
À midi, nous sommes à Coburg, le long du lac Ontario. Les fermes sont des plus belles. C’est un vrai beau jardin. À part la Californie, l’Ontario est certainement la plus belle partie le long de la ligne entre San Francisco et Montréal.
Nous lunchons90Dînons (Canada), déjeunons (France). à Toronto91Lorenzo semble confondre la séquence du voyage, puisque la ville de Cobourg est située à l’est, et non à l’ouest, de Toronto..
À 3 et demi heures p.m., nous sommes retardés une dizaine de minutes à cause d’une collision de chars92Wagons. de freight. J’entends prononcer «Montréal» très souvent dans les chars et ça me donne un petit brrrr.
5 et demi heures p.m. Les noms canayens commencent, tels que rivière Beaudette, St-Zotique, etc. Les femmes vont chercher les vaches aux champs. Les femmes ramassent de l’avoine. Ô CANADA. (p. 601)
En guise de conclusion
Le récit de Lorenzo Létourneau constitue certes un témoignage des plus révélateurs de l’expérience des orpailleurs, prospecteurs et mineurs au Yukon, particulièrement les Canadiens français. Pour eux, le Klondike est un lieu potentiel d’amélioration de leur qualité de vie. Ils croient pouvoir y atteindre plus facilement leurs objectifs que dans les centres manufacturiers de la Nouvelle-Angleterre ou sur les terres fertiles de l’ouest du continent. Certains trouveront en effet la fortune au pays de l’or, tandis que d’autres seront amèrement déçus. Pour d’autres encore, l’expérience sera mitigée.
Cela semble avoir été le cas pour Lorenzo Létourneau qui demeurera toujours mystérieux sur les aspects financiers de son séjour dans le nord-ouest du Canada. Même s’il n’y a pas accumulé un gros pécule, il en a peut-être rapporté quelques dollars. Et aussi un capital social qu’il saura mettre à profit à son retour, comme bien d’autres «rapatriés», avant et après lui.
NOTES
- 1. Nous remercions Monsieur François Gauthier, petit-neveu de Lorenzo Létourneau pour sa collaboration qui a pris diverses formes.
- 2. En termes géographiques, le Klondike est une région du Yukon, située à l’est de la frontière avec l’Alaska. Dans le cadre de ce travail, cependant, nous élargissons ses frontières pour englober les régions minières avoisinantes, y compris le nord de la Colombie-Britannique, où Lorenzo Létourneau passe plus d’un an.
- 3. Notre présentation du Klondike s’appuie sur Berton (1972), Pomerleau (1996), Porsild (1998) et Gray (2010).
- 4. Lorenzo et Domina empruntent donc la «route de l’avenir», que Raymond Auzias-Turenne (1899: 249-251) qualifie d’impraticable.
- 5. Pour un autre exemple de journal qui joue un rôle épistolaire, voir Cambron (2016: 129-132).
- 6. «Journal de voyage de monsieur J.-Arsène Simard, de Baie-Saint-Paul à Dawson au Yukon» (3 mars 1898 – 12 octobre 1902). Le livre Une pionnière au Yukon d’Émilie Tremblay (1948) n’est pas un récit de voyage, mais la transcription de souvenirs recueillis par le père oblat Marcel Bobillier. Par ailleurs, l’ethnologue Marius Barbeau réalisa en Colombie-Britannique dans les années 1920 des entrevues avec des témoins de la ruée vers le Klondike. Il a colligé plusieurs récits, notamment ceux d’un certain Gustave Gervais, qui sont conservés au Musée canadien de l’histoire: Poirier (2012: 33-50).
- 7. La deuxième version est constituée de trois ouvrages reliés et intitulés «Mon journal 1, 2 et 3». Elle comporte une introduction couvrant la période du 9 janvier au 29 mars 1898, rédigée après le retour de Lorenzo au Québec. Ces volumes contiennent aussi plusieurs grandes cartes indiquant l’itinéraire parcouru et des coupures de magazine. La troisième version comporte deux ouvrages reliés du même type que les précédents, mais renfermant, pour le premier, les volumes 1 et 2 de la deuxième version, dactylographiés à simple interligne, sans l’introduction et, pour le second, le volume 3 tapé à double interligne. La dernière version se présente sous la forme de feuilles dactylographiées non reliées, copiées à partir de la deuxième version en 1933 par une nièce de Lorenzo. Dès la deuxième version, Lorenzo modifie son journal. Ainsi ajoute-t-il des patronymes, des prénoms et des toponymes pour que le lecteur arrive à s’y retrouver. Parfois également, il donne des explications détaillées au sujet d’un procédé minier. Ailleurs, c’est une anecdote qui lui revient en mémoire et qu’il ajoute à son texte. En de rares occasions, il en profite pour se donner le beau rôle. Quant aux omissions, ce sont des descriptions de journées qui lui semblent ne rien apporter au récit (Gauthier, 2006: 20-23).
- 8. Émission diffusée sur ICI Radio-Canada: http://ici.radio-canada.ca/emissions/la_tete_ailleurs/2012-2013/chronique.asp?idChronique=124185 (consulté le 5 septembre 2018).
- 9. Groupe de voyageurs désignés par le nom de leur chef, un certain Desroches.
- 10. Lorenzo réfère à la possibilité d’un conflit armé entre l’Espagne et les États-Unis, dont on parle à partir de la mi-février 1898.
- 11. Remorqueur.
- 12. Marécages.
- 13. Ruisseau.
- 14. Barbiche.
- 15. Vêtement de travail formé d’un pantalon et d’un plastron assemblés avec des bretelles.
- 16. Fèves au lard.
- 17. Farine.
- 18. Ballot.
- 19. Piste ou sentier.
- 20. Prendre un raccourci. Les mots en italique désignent les passages que Lorenzo a soulignés dans son manuscrit (Gauthier, 2006: 25)
- 21. On nous a un peu menti.
- 22. Bureau de poste.
- 23. Noël.
- 24. Son chez soi.
- 25. Courrier.
- 26. Foyers.
- 27. Du ruisseau dont nous avons demandé l’exploitation des droits.
- 28. Carte.
- 29. Traîneau.
- 30. Concession minière.
- 31. Établissement hôtelier offrant le gîte et le couvert.
- 32. Cuite.
- 33. Fenêtre.
- 34. Contremaîtres.
- 35. Partie de plaisir.
- 36. Joyeux Noël.
- 37. Galerie horizontale. Une mine compte en général deux galeries pour que l’air puisse circuler. La galerie horizontale sert à la ventilation. Dans le Klondike, comme les gisements d’or se trouvent le plus souvent dans des zones accidentées, les galeries horizontales permettent aussi de les atteindre et de les exploiter plus aisément.
- 38. Dites donc, les gars.
- 39. Ancien juron qui signifie «Tort à Dieu».
- 40. Substrat rocheux. Habituellement, ancien lit d’un cours d’eau qui coule désormais plus bas. C’est là que les prospecteurs peuvent trouver de l’or, qui est retenu par le gravier recouvrant le substrat.
- 41. Sont dans un grand état de confusion.
- 42. Fret.
- 43. Patron.
- 44. Surveiller.
- 45. Nettoyage des boîtes pour récupérer l’or accumulé à la suite du lavage de la terre aurifère.
- 46. La picote est le terme familier pour la varicelle.
- 47. Lèche-cul.
- 48. Ruée. Espèce de course folle de dizaines, voire de centaines de prospecteurs qui veulent être les premiers à se réserver des concessions sur le site d’une découverte.
- 49. Où je viens de délimiter ma concession.
- 50. C’est la meilleure concession de l’endroit.
- 51. Est-ce que cette concession m’apportera la fortune?
- 52. Battée. Récipient à large bord utilisé pour le lavage du sable aurifère.
- 53. Je me suis réservé une concession.
- 54. Du souci.
- 55. Personnes qui ont pris une concession ayant déjà fait l’objet d’une concession antérieure.
- 56. Perdu sa concession.
- 57. Commissaire de l’or. Haut fonctionnaire du gouvernement canadien qui est à la fois juge de paix, juge de cour de comté, agent des Autochtones, adjoint au Commissaire des terres et des travaux publics et percepteur du revenu national sur le territoire du Yukon.
- 58. Qu’ils n’ont pas trouvé d’autre terre contenant de l’or.
- 59. Bouilloire.
- 60. Frêteur.
- 61. Nous facture.
- 62. Puits de mine.
- 63. Creuser dans la vase noire et la mousse gelée.
- 64. Treuil.
- 65. Rigole ou auget qui permet de recueillir les pépites.
- 66. Ajusté.
- 67. Vapeur.
- 68. J’ai lavé le gravier à la batée.
- 69. Par coup de batée.
- 70. Berceau. Il s’agit d’une boîte contenant environ deux pelletées de terre assujettie sur un berceau dont le fond est grillé. Le balancement de ce berceau se fait de la main gauche et l’eau est répandue dans la boîte en se servant de la droite. L’or est retenu dans des petites tringles à une sortie faite à une extrémité.
- 71. Utilisé le berceau.
- 72. Crevasses.
- 73. Correct.
- 74. Gère.
- 75. Tuyaux.
- 76. Atelier.
- 77. Pulsomètre.
- 78. Troncs d’arbre employés pour les travaux de construction.
- 79. Creuser une galerie souterraine.
- 80. Accepter.
- 81. Parties de concession.
- 82. Actes de vente.
- 83. Contestés.
- 84. Inspecteur des Mines.
- 85. Tranché.
- 86. La plaidoirie.
- 87. Il s’agit d’un canadianisme qui signifie «en continuant sur sa lancée, en utilisant l’élan initial».
- 88. Au revoir.
- 89. Conserveries.
- 90. Dînons (Canada), déjeunons (France).
- 91. Lorenzo semble confondre la séquence du voyage, puisque la ville de Cobourg est située à l’est, et non à l’ouest, de Toronto.
- 92. Wagons.
BIBLIOGRAPHIE
Documents d’archives
- Fonds Lorenzo Létourneau (1883-1945). Bibliothèque et Archives nationales du Québec, Centre d’archives de Québec, P310.
- Simard, J.-Arsène (1898-1902). «Journal de voyage de monsieur J.-Arsène Simard, de Baie-Saint-Paul à Dawson au Yukon», 3 mars 1898 – 12 octobre 1902. Bibliothèque et Archives nationales du Québec, Centre d’archives de Québec, P1000,S3,D2768.
Ouvrages
- Auzias-Turenne, Raymond (1899). Voyage au pays des mines d’or. Le Klondike. Paris: Calmann Lévy.
- Berton, Pierre (1972). Klondike. The Last Great Gold Rush 1896-1899. Toronto: McClelland & Stewart.
- Cambron, Micheline (2016). «Le Journal du Siège de Paris: au croisement de la lettre, du journal intime et du journal de presse», dans Marie-Andrée Beaudet et Mylène Bédard (dir.). Relire le XIXe siècle québécois à travers ses discours épistolaires. Montréal: Nota Bene, p. 127-142.
- Gauthier, François (dir.) (2006). 17 Eldorado. Le journal d’un chercheur d’or au Klondike 1898-1902. Montréal: Linguatech éditeur inc. et Qualigram.
- Gray, Charlotte (2010). Gold Diggers. Striking it Rich in the Klondike. Toronto: Harper Collins Publishing.
- Poirier, Guy (2012). «Histoires francophones de la ruée vers l’or», dans Guy Poirier, Christian Guilbault et Jacqueline Viswanathan (dir.). La francophonie de la Colombie-Britannique. Mémoire et fiction. Ottawa: Éditions David, p. 33-50.
- Pomerleau, Jeanne (1996). Les chercheurs d’or. Des Canadiens français épris de richesse et d’aventure. Québec: Éditions J.C. Dupont.
- Porsild, Charlene (1998). Gamblers and Dreamers. Women, Men, and Community in the Klondike. Vancouver: UBC Press.
- Tremblay, Émilie (1948). Une pionnière du Yukon. Chicoutimi: Société historique du Saguenay.
Dépôt légal (Québec et Canada), 4e trimestre 2018.
ISBN 978-2-921926-70-6 (PDF) - 978-2-921926-71-3 (HTML)
Crédits
CONCEPTION GRAPHIQUE — Émilie Lapierre PintalPROGRAMMATION — Adam Lemire en collaboration avec Simon Dufour, Tomy Grenier, Jean-François Hardy et Émilie Lapierre Pintal
COORDINATION — Mélanie Lanouette