Le juge Camille Pouliot en Europe (1894)
Par Gérard Fabre, chercheur, Centre national de la recherche scientifique (CNRS), Institut Marcel Mauss, École des hautes études en sciences sociales (Paris)Ce texte fait partie de l’anthologie Les récits de voyage et de migration comme modes de connaissance ethnographique
Comme beaucoup de ses contemporains, le juge Camille Pouliot (1865-1935) s’est essayé au récit de voyage, un genre littéraire très apprécié au xixe siècle. Si son journal illustre bien l’essor international du tourisme sanitaire, il révèle aussi avec finesse les ressorts psychologiques qui animent un Canadien français à l’étranger1.
C’est d’abord pour sa famille et ses proches que le juge relate ses pérégrinations, mais il ne néglige pas la postérité en rendant hommage à ses chers disparus. Ses comparaisons sont parfois teintées d’ethnocentrisme, car l’altérité peut l’effrayer autant que l’attirer. Il n’en excelle pas moins dans deux registres: l’art de la description et la capacité de transmuer ses impressions en réflexions.
Après s’être rendu à Chicago en 1893 pour l’Exposition universelle, Pouliot est retourné aux États-Unis en 1903. Il a également visité l’Europe en 1894, 1906 et 1935. De son voyage de l’été 1894, il a tiré un journal publié à Fraserville – aujourd’hui Rivière-du-Loup (Pouliot, 1901). Cet ouvrage, mal connu du fait de son tirage limité et de son audience confidentielle, n’a jamais été étudié2. Il est intéressant de le redécouvrir un siècle plus tard en l’enrichissant d’éléments biographiques et d’une mise en contexte.
La présente notice et les extraits réunis pour l’anthologie visent à mieux connaître les objectifs, les centres d’intérêt et les habitudes d’un voyageur canadien-français de l’époque. Pour cela, nous déroulerons les principales phases d’une trajectoire biographique singulière où le récit viatique joue un rôle important: c’est une pratique réflexive qui accompagne l’art de voyager propre à l’éthos bourgeois des couches montantes des sociétés industrielles (Venayre, 2012). Par leur position centrale dans l’organisation et le personnel politiques de ces sociétés, les professions juridiques partagent cet éthos ; c’est pourquoi elles figurent parmi les catégories les plus mobiles, aussi bien socialement que géographiquement.
Le récit de Pouliot opère à la fois comme un révélateur et un catalyseur des motivations d’une personnalité en quête d’une altérité susceptible de conforter ses convictions plutôt que de les ébranler. Maîtrisé, ce récit ne cultive guère les épanchements lyriques auxquels se prête l’exercice. Il exprime le ressenti d’un voyageur canadien-français ordinaire
, dont il restitue les faits et gestes. Les observations de Pouliot prennent d’autant plus de poids que le juge a sillonné des pans non négligeables de l’Europe et de l’Amérique du Nord. Même si son journal ne présente pas une mise en perspective générale avec les États-Unis, il contient néanmoins quelques comparaisons notables, par exemple entre les Expositions de Chicago et de Lyon, ou entre la démographie des villes de Chicago et de Marseille.
Vers une banalisation du tourisme transatlantique
Camille Pouliot fait partie des nombreuses cohortes de voyageurs transatlantiques de la deuxième moitié du xixe siècle qui bénéficient des progrès technologiques liés à la généralisation de la marine à vapeur. Celle-ci permet d’accroître la vitesse des navires et d’assurer la régularité des lignes maritimes (Rowland, 1970). Les conditions de traversée s’améliorent également de manière sensible, surtout pour les passagers de première classe, même si la mer fréquemment agitée de l’Atlantique Nord ne les épargne pas.
Il n’est donc pas surprenant que les Canadiens français les plus à l’aise financièrement s’adonnent en nombre croissant au tourisme. L’Europe les attire particulièrement. Étant donné leurs attaches ancestrales, religieuses et impériales, la plupart choisissent comme destinations la France, l’Italie et l’Angleterre. Des motifs plus pratiques peuvent se greffer à ce triple tropisme culturel. Les précieux gains de temps que procurent les transports maritimes et ferroviaires accélèrent une dynamique qui profite aux voyages d’études et d’affaires3. Les échanges au sein des ordres professionnels et des communautés religieuses ne sont pas en reste. En progression constante, les déplacements à grande échelle sont devenus plus commodes et plus sûrs, à tel point qu’ils commencent à se banaliser vers la fin du xixe siècle4. Des compagnies transatlantiques entrent en concurrence, ce qui fait baisser le prix des traversées: elles allèchent leurs clients par la publication répétée de réclames dans la presse.
Tout en étant moins fréquente que la France, l’Italie et l’Angleterre, une autre destination se fait jour: l’Allemagne. Quand le Canadien Edmond Boisvert se rend en Europe, où il demeure plus de dix ans, il séjourne d’abord à Berlin, de mars 1888 à mai 1889 (De Nevers, 2002). Le futur essayiste et publiciste, qui prendra comme nom de plume Edmond de Nevers, n’est pas une exception: en cette fin de siècle, l’Allemagne séduit les amateurs de progrès techniques, industriels et thérapeutiques qui entendent ne pas renoncer aux saines traditions défendues par l’Empire germanique. Le juge Pouliot rapporte que d’autres voyageurs canadiens – hommes d’affaires et religieuses – se trouvent en même temps que lui en Bavière. Il évoque même un Canadien qui a eu l’occasion de visiter Munich à deux reprises
, coup sur coup, en l’espace de deux ans (Pouliot, 1901: 102). On va oublier, à la suite des conflits mondiaux du premier xxe siècle, cette attraction germanique parmi les élites économiques et culturelles, qui fut loin d’être marginale en Amérique du Nord.
Quelques repères biographiques
Joseph-Camille Pouliot appartient à la bourgeoisie canadienne-française qui se taille une place économique et politique importante au fil de la deuxième moitié du xixe siècle, comme en témoignent les mandats de son père – le notaire Jean-Baptiste Pouliot (1816-1888) –, élu d’abord à l’Assemblée législative de la province du Canada dans Témiscouata en 1863, puis, après la naissance de la Confédération, dans la circonscription fédérale de Témiscouata en 18745.
Originaire de Fraserville, Camille Pouliot fait ses études secondaires dans un collège classique réputé, le Petit Séminaire de Québec, qui est l’un des plus avancés, sur le plan pédagogique, de la province. Lorsqu’il entame son cours classique, à la fin des années 1870, le séminaire a déjà connu une rénovation importante, menée par les Jérôme Demers, Jean Holmes et autres artisans d’une pédagogie plus exigeante, qui prépare mieux à la vie adulte. On y insiste notamment sur la qualité de la langue, qu’elle soit française, latine ou même anglaise. Les professeurs sont souvent jeunes, comme Patrick O’Ryan, qui a 20 ans en 18816.
Après avoir fait son droit à l’Université Laval de Québec et obtenu sa licence en 1888, Camille pratique le métier d’avocat à Fraserville.
Fraserville, une pépinière d’hommes politiques
Dans un cabinet d’avocats de Fraserville qui fait figure de véritable pépinière politique, tant pour le provincial que pour le fédéral, Pouliot a comme associés le futur député libéral de Kamouraska, Charles-Adolphe Stein, le futur ministre libéral Ernest Lapointe, dont l’influence fut considérable auprès du premier ministre canadien Mackenzie King, ainsi qu’Émile Gagnon et Dominique Lévesque, le père du premier ministre du Québec, René Lévesque (Dictionnaire des parlementaires du Québec, 1792-1992, 1993; MacFarlane, 2011).
En parallèle, Pouliot se lance dans les affaires en créant la Compagnie de téléphone de Kamouraska. Puis il s’installe dans le district d’Arthabaska, dans la région des Bois-Francs, pour exercer la fonction de juge. Nommé à la Cour supérieure pour ce district en 1910, il doit rejoindre la ville de Québec afin de satisfaire aux exigences du nouveau statut fédéral, qui oblige les juges à résider dans les grands centres urbains.
Pouliot n’en reste pas moins attaché aux habitants de son district, car il fait don au Barreau d’Arthabaska d’un crucifix imposant, destiné à la salle d’audience du palais de justice. Il aime se retrouver à Arthabaskaville: c’est le centre de la région avec son palais de justice et ses juges québécois ou montréalais qui le visitent régulièrement
(Bélanger, 2007 [1986]: 59). Fondé en 1858, à la suite d’un démembrement de la paroisse de Saint-Christophe-d’Arthabaska, Arthabaskaville est devenu chef-lieu de comté: situé au pied des monts Saint-Michel et Christo, le village a pris une importance administrative, ce qui permet au juge de s’y rendre fréquemment pour ses activités professionnelles7.
Issu d’un deuxième mariage8, son cinquième enfant, prénommé Adrien9, commença sa scolarité dans une école d’Arthabaska, où Pouliot fonda un prix de diction ; comme l’y prédisposait sa formation au Séminaire de Québec, il se souciait beaucoup de la correction du français et de l’éloquence exprimée en cette langue. Ce prix de diction portait également sur l’usage de l’anglais, signe que le juge respectait l’esprit biculturel de la Confédération.
C’est dans le district d’Arthabaska, à Victoriaville, que Camille Pouliot commença à fréquenter le premier ministre du Canada, Wilfrid Laurier. À la fin de sa vie, l’un des vœux du juge consista à faire chanter une grand-messe chaque année, à l’anniversaire du décès de sir Wilfrid Laurier, pour le repos de son âme10
. Dans sa lettre testamentaire, Pouliot fait part de son désir de perpétuer cette célébration en reconnaissance [des bontés de sir Wilfrid Laurier] à mon égard et à l’égard de ma famille
. Le juge témoigne ainsi de sa fidélité au prestigieux chef libéral et à son parti: il représenta ce dernier en 1908, mais sans succès, lors de l’élection fédérale dans le comté de Charlevoix. L’amitié des deux hommes ne se dément pas avec le temps. Elle a sûrement joué un rôle dans la nomination de Pouliot en 1910 à la Cour supérieure.
À l’occasion de la célébration du vingt-cinquième anniversaire du couvent d’Arthabaska, le juge Pouliot fit une donation à la communauté des Révérendes Dames de la Congrégation11, leur remettant cent dollars pour la fondation d’un prix annuel décerné à l’élève finissante arrivée première au concours de fin d’année. Pouliot se préoccupait donc d’éducation et de formation des consciences chrétiennes: cette facette dominante du personnage se retrouve dans son récit de voyage en Europe. Pour lui, le catholicisme n’est pas seulement un acte de foi, c’est une assise civilisationnelle sans laquelle une société se trouve dépourvue de son principe vital. La visite d’églises constitue son activité touristique préférée. Les spectacles auxquels il assiste – des concerts, notamment – et les musées qu’il fréquente l’attirent parce qu’il s’agit de musique et d’art sacrés.
Comme c’est souvent le cas des membres de la bourgeoisie canadienne-française proche des sphères du pouvoir, le niveau de vie du juge est suffisamment élevé pour qu’il puisse voyager confortablement d’un continent à l’autre et s’adonner à des activités coûteuses qui ne sont pas à la portée du tout-venant.
Les passagers de première classe du S.S. Dominion
Dans le fonds Pouliot (conservé au Centre d’archives de Québec de BANQ) figure la liste des passagers de première classe du S.S. Dominion, paquebot à bord duquel Pouliot traversa l’Atlantique en 1906. Outre les Pouliot, on note la présence de Canadiens français comme Gus Simard, de Québec, ou Arthur Racine, de Montréal. Mais ils sont très minoritaires: la plupart des passagers portent des patronymes anglo-saxons et vivent dans de grandes villes d’Amérique du Nord (Vancouver, Toronto, Montréal, Portland, Seattle, Los Angeles, Minneapolis, Chicago, Detroit) ou de Grande-Bretagne (Londres, Liverpool, Glasgow).
Détail cocasse, lorsqu’il est en voyage, Pouliot ne quitte pas un chapeau haut de forme, symbole de son statut social. Cette pratique déconcerte parfois les indigènes. Comme il le relate avec humour dans son journal, il doit s’excuser, dans une brasserie de Munich, de porter un couvre-chef qui le singularise. En ce lieu où la décontraction prévaut et les différences de classe s’estompent, le port du haut de forme est banni.
Les voyages du juge Pouliot
Le voyage en Europe de 1894
Contrairement à celui d’Edmond de Nevers, le séjour européen de Camille Pouliot en 1894 n’a pas retenu l’attention des historiens. Le juge a voyagé en première classe à bord de l’Empress of Ireland (Canadian Pacific Railways Company’s, Royal Mail Steamship) (sur ce paquebot, voir Willis, 2013). Comme son compatriote l’avait fait quelques années plus tôt, il opte, après une escale en Angleterre, pour une longue étape en contrée germanique – la Bavière – avant de se diriger en Suisse par bateau sur le lac de Constance. Il entre en France par le poste-frontière de Bellegarde, se rend d’abord à Lyon, puis dans le Midi – où il visite les principales villes (Avignon, Arles, Marseille, Toulouse), sans oublier Lourdes, cité des miracles. Il termine son périple à Paris. Le pays est encore sous le choc de l’attentat perpétré contre le président Sadi Carnot à Lyon, le 24 juin 1894, par l’anarchiste italien Sante Geronimo Caserio. Le président assassiné se trouvait dans la capitale des Gaules pour inaugurer l’Exposition universelle, internationale et coloniale. Cet événement occupe une place importante dans le journal de Pouliot.
La raison pour laquelle le juge s’est rendu en premier lieu en Bavière – un royaume annexé en 1871 à l’Empire germanique – est clairement expliquée dans une note dactylographiée, intitulée Voyage en Europe et Louisiane12
. Il s’agissait de soigner sa belle-sœur, Stella-Anita Bertrand, mariée en 1887 à son frère Eugène13.
Gravement malade, celle-ci voulait suivre une cure Kneipp en Bavière. Ce traitement par hydrothérapie reposait sur le principe d’une vie plus saine en milieu naturel, avec des exercices physiques réguliers et une alimentation frugale. Il comportait notamment l’administration de puissants jets d’eau sur le corps des curistes. Dans son récit, Pouliot souligne à plusieurs reprises que la Kneippkur suscitait un large engouement et de grands espoirs à travers le monde. Beaucoup de voyageurs se déplaçaient pour des motifs de santé. Lors de l’épisode de cure, Pouliot croise des Européens, mais aussi des Américains et même des Japonais.
La médicalisation du voyage
C’est au xixe siècle que le voyage se médicalise sous l’égide de discours médicaux et paramédicaux. Initialement, ces derniers sont censés répondre aux maux causés par l’exil et la nostalgie. La physiologie des déplacements qui se met alors en place traite des divers désordres causés par la route. Au pire, c’est l’aliénation qui guette le voyageur atteint du syndrome du vagabond. Le modèle hygiéniste accompagne et légitime cette physiologie des voyages. Des pratiques sanitaires saisonnières sont instaurées: certaines périodes de l’année sont en effet recommandées aux patients. Pour raffermir ses chairs, on s’adonne aux cures thermales, aux eaux minérales et aux soins réparateurs de la mer. Les cours européennes et les membres des élites les plus en vue fréquentent assidument les villes thermales. Celles-ci deviennent de plus en plus prospères et attirent, par effets de capillarité, d’autres couches sociales. Mais le thermalisme demeure longtemps l’apanage des familles aisées, étant donné les tarifs pratiqués. On peut considérer qu’il en est ainsi de la Kneippkur, même si Pouliot note que les traitements du curé Kneipp pénètrent tous les milieux: il s’agit sans doute de malades gravement atteints, pris en charge dans un esprit caritatif. Le juge pratique une forme de tourisme qui correspond bien à la vogue du modèle hygiéniste: dans la thérapeutique du voyageur, santé et plaisir doivent se conjuguer (Venayre, 2012: 299-354).
Le groupe était composé de cinq voyageurs: outre le juge, se trouvaient sa mère et son frère Eugène, ce dernier étant accompagné de son épouse et de leur fils Jean-François. Ils sont restés quelques jours en Angleterre pour voir mère de l’Ange gardien14, l’une des sœurs du juge Pouliot, entrée dans un couvent londonien ouvert par la Congrégation des Auxiliatrices du Purgatoire15. Le petit groupe a passé tout l’été en Europe, pour revenir au Québec en septembre. Sans que l’on puisse identifier sa pathologie, Pouliot se sent lui aussi malade ou tout au moins affaibli, puisqu’il rapporte suivre la cure Kneipp, dont les jets d’eau appuyés sur le corps n’ont rien d’agréable. Mais il reste allusif à ce sujet.
Le voyage de 1903 aux États-Unis
Des problèmes de santé vont encore amener le juge à se déplacer jusqu’au sud des États-Unis, sur les conseils de son médecin. Il part en janvier 1903, accompagné de sa cousine, Eugénie Blais. On ne connaît pas les raisons de la présence de cette compagne de voyage, qui lui a été imposée, semble-t-il, par sa mère. Peut-être maîtrise-t-elle mieux l’anglais, mais ce n’est qu’une hypothèse.
Dans un premier temps, Pouliot consulte à New York le docteur Richardson16, puis à Philadelphie un autre médecin, dont il ne cite pas le nom. Il suit ensuite, pendant quelques semaines, une cure à Thomasville, en Géorgie. À la fin de mars, il se rend en Louisiane. Toujours flanqué de sa cousine, il rencontre à plusieurs reprises à La Nouvelle-Orléans Alfred Fortin, maire de Fraserville17. Tous trois retournent à Thomasville jusqu’au 6 avril, avant de se rediriger vers New York. Ils repartent de la gare de Waycross. À bord du train, Pouliot rencontre le président de la société Florida East Coast Railway, sise en Floride, Henry M. Flagler, auquel il remet une lettre de Wilfrid Laurier à l’adresse du vice-président de cette compagnie, James E. Ingraham18. Ce fait confirme la proximité du juge avec le premier ministre du Canada. Toujours accompagné d’Eugénie Blais et d’Alfred Fortin, Pouliot bénéficie des largesses de Flagler, qui affrète un train spécial qui les conduit à Saint Augustine, dans le nord-est de la Floride.
Ingraham les attend tous trois dans la ville et les guide pour en faire le tour. Cette étape est l’occasion d’une visite d’agrément, d’une halte distrayante pour le juge, qui peut mettre entre parenthèses ses problèmes de santé. Dans cette ville touristique de Floride, déjà prisée à l’époque, il visite un hôtel luxueux: décoré par Tiffany, le Ponce de León a coûté la coquette somme de sept millions de dollars. Il s’arrête devant d’autres réalisations marquantes: le Cordora et le fort Marion. Il soupe chez le père de James E. Ingraham, un pasteur protestant. Le même soir, les trois voyageurs reprennent le train qui les mène à Savannah. De là, ils s’embarquent sur le vapeur Clyde à destination de New York.
Les autres voyages en Europe
Le juge Pouliot voyagera une deuxième fois en Europe en 1906, à bord du S.S. Dominion, sur la ligne Montréal-Québec-Liverpool. On sait qu’il s’est rendu en Angleterre, en France et en Belgique, mais aucune trace de journal ne figure dans le fonds d’archives. Il est dommage de ne pas connaître ses impressions sur la France, car nous sommes au lendemain de la Loi de séparation des Églises et de l’État, promulguée le 9 décembre 1905. Fermement condamnée le 17 février 1906 par Pie X dans l’encyclique Vehementer nos, cette loi indigna un grand nombre de Canadiens français19.
À la fin de sa vie – il décède le 20 décembre 1935 –, Pouliot traversa une troisième fois l’Atlantique à bord du Normandie, pavillon de la qualité française
. Avec beaucoup d’application, il prit des notes lors de la conférence donnée par un certain Henri Gandargel, le 16 février 1935, à bord du paquebot. Elles ont été conservées dans le fonds Pouliot20. Mais nous ne savons rien de précis sur son itinéraire et ses occupations. Il ne semble pas avoir consigné ses impressions. Il est plausible que Pouliot se soit rendu à Paris seulement pour les obsèques de sa sœur Alexandrine.
En guise de conclusion
Le juge considère que ses voyages en Europe et aux États-Unis lui ont procuré un regain de santé. Adepte d’un tourisme sanitaire dont il témoigne de l’importance grandissante, il se fait le chantre d’une pratique appelée à se populariser à travers les forfaits touristiques comprenant cures, traitements et soins divers.
Un des aspects les plus originaux du récit de Pouliot réside dans sa manière de mettre en scène, dans pas moins de 71 pages, le curé Sébastien (Sebastian, en allemand) Kneipp21: le voyageur transformé en curiste s’attache à cette figure locale bavaroise, devenue une célébrité internationale. En tant qu’il incarne et personnifie la Bavière catholique, Kneipp entre dans une relation métonymique qui fonde le regard ethnographique de Pouliot et en constitue la porte d’entrée, nonobstant l’attrait des paysages. Décrire le caractère et l’action du prêtre, c’est, en somme, connaître une part intime d’une terre naguère indépendante, annexée en janvier 1871 à la grande Allemagne par la volonté du chancelier de fer Bismarck. C’est, du même coup, remonter à la source catholique de ce royaume intégré dans un Reich bismarckien à dominante protestante, comme le fut un siècle plus tôt le Canada français dans l’Amérique du Nord britannique.
Extraits du journal de voyage en Europe du juge Camille Pouliot (été 1894)
Les deux documents consultés – le manuscrit du récit de voyage effectué en Europe par Pouliot en 1894, d’une part, et l’ouvrage qu’il en a tiré, Réminiscences de voyage (1901), d’autre part – ne sont pas identiques, mais très proches l’un de l’autre. Nous avons choisi de reproduire des extraits de la version publiée en 1901 parce que Pouliot l’a retravaillée, relue et validée auprès de son imprimeur, J. E. Frenette. Il avait effectué auparavant une révision grammaticale et stylistique. Nous avons cependant procédé, dans la restitution des extraits sélectionnés, à certaines corrections syntaxiques qui s’imposaient (fautes de conjugaison ou d’accord), tout en conservant certains canadianismes et quelques usages lexicaux admis à l’époque.
Par rapport au manuscrit, certaines phrases du volume édité sont remaniées, voire reconstruites à des fins rhétoriques. Le vocabulaire est enrichi, les tournures de phrase plus légères. Quelques ajouts, notamment historiques, ont été effectués, quand Pouliot a pu disposer, après coup, de documents plus précis. Les données en système métrique (trouvées dans des dépliants ou des guides) sont converties en pieds.
Un exemple des modifications textuelles auxquelles se livre Pouliot lors de sa révision concerne un parcours en Provence. La phrase du manuscrit se lit ainsi: Sur le parcours d’Arles à Marseille se rencontre le fameux tunnel de la Nerthe, le plus long qui existe – il mesure 4620 mètres – que l’on traverse avant d’entrevoir les eaux vertes de la Méditerranée.
Le même passage est décomposé dans le volume imprimé en trois phrases: Sur le parcours d’Arles à Marseille se rencontre le fameux tunnel de la Nerthe, l’un des plus beaux qui existent au monde. Il mesure au-delà de treize mille pieds. À sa sortie, on découvre les belles eaux vertes de la Méditerranée, et la silhouette du fort St-Jean
(p. 151)
Pour donner plus de liant aux extraits choisis, nous avons rédigé des articulations nécessaires à l’unité de l’ensemble sélectionné.
La Bavière
Sans mentionner sa traversée de l’Atlantique et son escale en Angleterre, Pouliot entre tout de suite dans le vif du sujet, qui est un lieu de cure en Allemagne. C’est pourquoi la première ville décrite est Wörishofen, qu’il orthographie Wœrisofen. D’emblée, la densité démographique européenne – en l’occurrence bavaroise – ne peut que marquer le visiteur en provenance du Québec:
Tous les villages de Bavière, comme d’ailleurs presque partout en Europe, offrent cette disposition caractéristique. La distance entre les différents bourgs ne varie guère plus de quatre à cinq milles. Autour s’étendent les terrains en culture. Il n’existe aucune clôture de séparation, aucune borne apparente […]. (p. 2)
Depuis quelques années, l’aspect de Wœrisofen a changé. L’humble village a subi une transformation complète. […] Sa population a doublé ; des édifices imposants ont surgi ; Wœrisofen est maintenant sur toutes les cartes, sur toutes les lèvres: c’est le point de mire, d’attraction de l’Europe, et même de l’univers entier. On y accourt de tous les pays durant la saison d’été: Français, Anglais, Russes, Allemands, Espagnols, Polonais, Américains, Italiens, Hongrois, Turcs, Perses, Australiens s’y coudoient et fraternisent dans ce phalanstère d’un nouveau genre. Bref, c’est le rendez-vous de toutes les souffrances. (p. 3)
Pouliot explique aussitôt la raison de cet engouement: il est dû au curé Sébastien Kneipp, auteur notamment de Ma cure d’eau (qui a fait l’objet de pas moins de 50 éditions, soit au total 300 000 exemplaires vendus). Un journal – Le Kneippiste – a même été édité (p. 63). Pouliot revient longuement sur la biographie du curé bavarois, comme dans cet extrait, où il répète et scande avec admiration le patronyme du thérapeute:
Un pauvre curé de campagne, sans prétention, sans diplomatie, à l’abord presque rustre, attire seul toute cette foule. Saisi d’étonnement et d’admiration, l’univers entier redit, bien que sous des appellations diverses, le nom à jamais immortel de cet astre brillant, nouvellement découvert au zénith de la science: Kneipp, Kneipp, l’illustre médecin, l’hygiéniste sans égal, Kneipp, l’un des plus grands bienfaiteurs de l’humanité, Kneipp, honoré par la Cour de Rome, du titre de Prélat de la Maison Pontificale et tout récemment encore fait Commandeur du Saint-Sépulcre par le Patriarche de Jérusalem. Le curé Kneipp, comme on l’appelle habituellement, est âgé de 78 ans, et il les porte allègrement. (p. 5)
Kneipp est un fervent adepte de l’hydrothérapie, qu’il présente et propose comme la cure de santé par excellence:
C’était le premier miracle opéré par Kneipp. Tout en se guérissant lui-même, il avait sauvé un de ses compagnons de séminaire. Une application raisonnée de l’eau avait écarté les obstacles qui semblaient aux yeux de tous insurmontables. (p. 12)
Pouliot ne s’en tient pas seulement à des considérations sanitaires et thérapeutiques. En héritier du moment analogique
(Guyot, 2012), qui se déploie à la fin du xviiie siècle, il fait souvent appel à l’art de la comparaison et aux figures de l’analogie pour évoquer l’altérité européenne et sensibiliser ses compatriotes aux forces passées et aux faiblesses présentes des cultures multiséculaires de l’Europe, à la fois proches et éloignées de la vie courante des Canadiens français. Ces moyens rhétoriques ont été utilisés, avant lui, par d’illustres écrivains voyageurs, tels Bernardin de Saint-Pierre et Chateaubriand. Fidèle à cette tradition éprouvée du récit de voyage, le juge se livre donc volontiers à des comparaisons, comme ici entre la Bavière et le Canada français:
[Le Bavarois] est d’un accueil facile, hospitalier et rappelle par plus d’un trait le bon habitant de nos campagnes. Notre cultivateur canadien l’emporte beaucoup par sa méthode de cultiver, par son esprit de progrès, d’amélioration et sous bien des rapports, il est infiniment plus avancé que le peuple bavarois. L’art aratoire semble presque ignoré en Bavière. On [n’]y trouve aucun de ces instruments de culture perfectionnés qui sont, en fin de compte, pour l’agriculture une économie de temps et d’argent. Pendant les quelques semaines passées dans ce pays, je n’y ai vu qu’une fois un râteau à foin mu par un cheval. Tout se fait à la main, à l’ancienne façon de nos pères, à la faux et à la faucille. (p. 14)
Si le peuple canadien l’emporte par l’esprit de progrès, d’avancement qui s’accentue notablement, depuis quelques années surtout, par contre le Bavarois excelle par la simplicité de ses mœurs. Le luxe est chose inconnue dans les campagnes de la Bavière. On y est vêtu convenablement et proprement, mais sans recherche. On ne songe point à éclipser son voisin, sa compagne par l’éclat de sa parure. (p. 15)
Comme beaucoup de voyageurs, Pouliot ressent parfois le mal du pays:
Somme toute, le temps passe assez agréablement à Woerishofen, pour ceux qui ne sont pas atteints de la nostalgie du sol natal. Car, pour ceux-là comme pour les personnes qui y viennent, à titre de curiosité, suivre le traitement en pur amateur, Woerishofen est assurément un vilain endroit où l’on s’ennuie et dont on désire s’éclipser au plus tôt. (p. 66)
Pourquoi aller si loin de chez soi pour faire une cure, alors que l’on a le même service à proximité ? C’est ainsi que Pouliot guide ses lecteurs canadiens, soucieux de la distance et du coût des transports pour venir en Europe:
Montréal possède un institut Kneipp proprement dit, absolument aménagé comme ceux de Woerishofen, pourvu en plus de toutes les améliorations, sous le contrôle immédiat et la direction éclairée du docteur L’Écuyer […] et de M. Arcand, doucheur expérimenté […]. (p. 68-69)
Pouliot fait en quelque sorte de la réclame pour la cure Kneipp:
Convaincu, devenu Kneippiste à votre tour, vous prendrez plaisir à venir en aide à vos semblables en leur recommandant l’application rationnelle de l’eau, et à proclamer, comme votre humble chroniqueur, et l’excellence du système et le génie transcendant et incontesté de son auteur. (p. 71)
Bon catholique, Pouliot assiste, à Waal, à La représentation de la Passion, dont il vante les qualités esthétiques et morales (p. 72-81):
La représentation dure cinq heures, cinq heures de pieuses et saintes émotions, et qui nous ont paru courtes malgré la chaleur excessive qui régnait dans cette salle sombre et mal aérée. (p. 80-81)
Dans son chapitre sur la capitale bavaroise, Munich (p. 82-103), Pouliot révèle sa passion pour les églises, qu’il visite d’ailleurs systématiquement, à quelque endroit qu’il se trouve:
La plus importante est l’église Notre-Dame
Franenkirche, qui mesure plus de quatre cents pieds de longueur. Deux tours quadrangulaires à leur base, puis octogonales, couronnées par une copule [coupole] d’où la vue est superbe, dominent elles-mêmes l’édifice, qui d’ailleurs rappelle beaucoup Notre-Dame de Montréal. (p. 87)
Le juge ne manque jamais de consigner des rencontres ou des propos qui concernent tel ou tel personnage canadien, ici le cardinal Taschereau:
La capitale de la Bavière est le centre d’un archevêché. Ayant eu l’occasion durant mon séjour en cette ville, de rencontrer le Révérend abbé Kronast, je ne fus pas peu étonné de lui entendre me dire:
Vous êtes du Canada ? Alors, vous devez connaître Son Éminence le Cardinal Taschereau.–Parfaitement répondis-je, il est le métropolitain du diocèse de Québec dont je relève.– Et il ajouta cet éloge aussi mérité que flatteur:Quel homme distingué ! Quel saint prêtre !Tant il est vrai que la réputation de notre vénéré archevêque n’est pas limitée aux bornes de ce pays, mais qu’elle s’étend par-delà l’Atlantique dans toutes les parties de l’Europe. Je ne pus me défendre d’un sentiment de plaisir en entendant ces paroles, et je me sentis fier de cette louange venant de si haut lieu, à l’adresse d’un éminent Canadien. (p. 88-89)
Sans abandonner le registre comparatif, Pouliot fait part de son goût pour la bière allemande à Munich, qu’il trouve légère, digeste et d’une rare finesse: il cite alors la bière lager de la brasserie de Beauport, qu’il conseille à ses compatriotes, car elle se rapprocherait de celle de Munich (p. 101). La plupart des comparaisons avec le Canada n’en sont pas moins favorables à ce dernier:
Par unclair de luneallemand, à travers les mille prismes rayonnants d’arcs-en-ciel, développés par un puissant stéréoscope, les chutes du Rhin offrent un aspect vraiment féerique. Malgré leur incontestable beauté, elles n’approchent cependant point l’imposante magnificence du Niagara. Le Rhin, pas plus d’ailleurs qu’aucun fleuve d’Europe, ne saurait rivaliser avec notre majestueux et incomparable St-Laurent. (p. 107)
La Confédération helvétique
La Suisse est évoquée longuement dans un chapitre élogieux (p. 104-121), dans lequel Pouliot n’oublie pas de mentionner l’excellente réputation des montres suisses (p. 119):
Bâtie sur une éminence,Berne, capitale de la confédération suisse et siège du gouvernement, offre quelques points de rapprochement avec Québec. Aux pieds de ses remparts coule une rivière que l’on serait tenté de prendre pour la Rivière St-Charles avec les populeux quartiers de St-Roch et du Palais. (p. 114)
Pouliot se désole à Berne des ravages extraordinaires causés par le schisme
(p. 114-115). Comme beaucoup de Canadiens français, il est mal à l’aise, le dimanche, à l’heure de l’office:
Ce qui confirme que leculte romainest presque ignoré à Berne, c’est que tous ceux à qui nous nous adressâmes pour savoir où se trouvait l’église catholique nous indiquèrent invariablement quelques églises protestantes. La grande majorité professe la religion de Swing [sic]22. (p. 115)
Lyon
La section sur le midi de la France commence par la ville de Lyon (p. 122-136), laquelle ne fait pourtant pas partie de cette entité, ni par la géographie ni par le climat. Un repère chronologique est offert au lecteur. Pouliot arrive en France le 6 août 1894:
Le 6 août nous foulons pour la première fois le sol français àBellegarde, où il faut faire étape pour satisfaire aux règlements de douanes rendus plus sévères par les récentes menées anarchistes. (p. 122)
Outre cette donnée contextuelle – les attentats anarchistes – suffisamment importante pour qu’il y revienne plusieurs fois, Pouliot fait montre d’un lyrisme convaincant quand il s’agit de décrire des paysages français, ici à Lyon:
On dirait unéchassier colossal, abaissant son long col pour séparer de son bec de granit blanchi par le flot, les eaux des deux fleuves [la Saône et le Rhône] et se désaltérant, sans intermittence, dans le courant. Une ligne grisonnante fait voir les contours et la charpente du corps: ce sont les quais de Rambaud, d’Occident, des Célestins, de St-Vincent, de Serin, qui en dessinent l’arrête supérieure. La gorge formée par les quais de Perrache, de la Charité, de l’Hôpital, de St-Clair et d’Herbouville, baigne simplement dans le Rhône. (p. 123)
La suite immédiate est du même acabit et dévoile le sens de la métaphore chez le juge de Québec:
Les eaux vertes de la Gare d’eau décrivent une courbe formant l’orbite de l’œil dans lequel se détache la noire prunelle des hangars à marchandises. Tranchant sur la couleur sombre de son pelage, un brillant collier d’albâtre, la cour du midi, […] met la tête en relief, pendant que les sommets accidentés de la Croix rousse font ressortir la puissante ossature du volatile. Des ponts nombreux, comme des tendons musculaires, le maintiennent dans cette position et le relient aux faubourgs de la guillotière et des Brotteaux à l’est, et aux collines de St-Just du côté de la Saône. (p. 124)
Pouliot fait allusion à la statue d’Ampère sur la place Belle Cour (p. 125) et revient sur les menaces anarchistes (on dirait aujourd’hui terroristes
) en France, en évoquant l’attentat perpétré contre le président Sadi Carnot, petit-fils du célèbre chef révolutionnaire Lazare Carnot et fils du politicien républicain Hippolyte Carnot:
[…] la Place Carnot, du nom du [grand-]père de l’infortuné président de la République. (p. 125)
[…] le lâche assassinat de Carnot se rendant au grand théâtre. (p. 125)
C’est l’occasion pour Pouliot de se livrer à des commentaires édifiants sur les derniers échanges du président Sadi Carnot avec l’archevêque de Lyon:
L’Archevêque de Lyon, dès que la nouvelle du sinistre attentat lui fut parvenue, s’empresse de courir à la préfecture auprès du président qui, le matin même, lui avait fait un accueil cordial à une réception officielle au Palais du Commerce. En le voyant s’approcher Carnot remercia l’évêque avec effusion de cette marque de sympathie, lui disant que sa présence était une précieuse consolation à cette heure suprême. –
Je vous apporte plus que la consolation humaine, c’est la réconciliation avec le souverain Roi que je viens vous offrir, répondit l’archevêque.Carnot fait signe à ceux qui entouraient sa couche sanglante de se retirer, et un colloque secret s’engage avec le prêtre, qui verse avec onction dans le cœur du mourant la foi qui sauve, l’absolution qui efface et la grâce qui sanctifie. Quelques instants plus tard, le premier magistrat de la France expirait dans la paix du Seigneur. (p. 125-126)
Une autre église fait l’objet de longues digressions, Notre-Dame de Fourvière, d’autant plus que Pouliot y croise des religieuses canadiennes. Cette rencontre le réjouit particulièrement:
Un sentiment d’affection nous attirait en outre à Fourvières. Une Canadienne alliée à notre famille, religieuse chez les Dames de Jésus-Marie, était à Lyon depuis quelques semaines. En nous entendant nommer St-Vincent-de-Paul, la sœur portière ne put retenir une exclamation: Mais vous êtes Canadiens ! Elle était elle-même une compatriote. L’intérieur où l’on nous réunit nous donne l’illusion d’une communauté de diocèse: installés à une place d’honneur, les portraits de deux personnages bien connus, Monseigneur Bégin et Monseigneur Marois. La Révérende Mère St-Cyrille qui a été longtemps supérieure à Sillery, et a laissé au Canada un vivace souvenir, nous fait gracieusement les honneurs de son couvent. Par un heureux hazard [sic], cinq religieuses Canadiennes, venues des diverses missions, se trouvaient réunies pour la retraite annuelle. Il faut avoir voyagé à l’étranger pour réaliser le bonheur que l’on éprouve à rencontrer quelqu’un des siens. Hors du pays natal, le compatriote inconnu de la veille devient l’ami et le confident du lendemain. Rien ne saura rendre la joie que nous causa à tous cette rencontre fortuite. Pour surcroît de bonne fortune, ces Canadiennes étaient toutes de cette région-ci de la Province, de Trois-Pistoles, de Montmagny, de St-Charles, de Québec, et nous pûmes à loisir satisfaire leur légitime curiosité. Une couple d’heures passées, pour ainsi dire, toute entière au Canada se furent bien vite écoulées, et il nous fallut, quoiqu’à regret, nous séparer de nos pieux hôtes. (p. 130-131)
À Lyon, les Pouliot descendent à l’Hôtel de l’Univers. Le récit comporte quelques passages intéressants sur les soieries de Lyon, principale activité économique de la ville. Le juge relate sa visite à l’Exposition internationale et coloniale de Lyon en 1894 (p. 133-136). Il fait allusion dans cette circonstance à un de ses voyages précédents, à Chicago:
Les fourneaux de la Verrerie vénitienne en pleine activité rappellent la brillante installation de la fabrique américaine Libby, au World’s Fair de Chicago. (p. 134)
Déjà l’électricité fait office d’énergie pouvant servir au transport:
Un chemin de fer de ceinture mu à l’électricité fait le service du Parc de la tête d’or23. (p. 136)
Avignon et Arles
Avignon et Arles, villes méridionales et habituelles étapes touristiques, sont décrites avec précision (p. 138-151). Les passages qui les concernent ressemblent le plus à des notations de style guide touristique
. Ces dernières parsèment toutefois l’ensemble du journal de Pouliot et sont destinées à ses compatriotes:
Illustrée par le séjour qu’y firent plusieurs papes au moyen-âge,Avignonmérite une visite. (p. 138)
La résidence des papes […] retentit maintenant de mille voix aigres et discordantes, souvent même libertines, qui contrastent singulièrement avec le silence et la paix de jadis. Ce n’est plus en effet aujourd’hui qu’une caserne où les troupes ont leurs quartiers généraux. (p. 139)
Des fresques brisées attestent les ravages d’une révolution irrespectueuse et impie. Seule au centre du plafond cependant, une figure, œuvre d’un grand maître, est restée intacte. Elle offre cela de singulier qu’elle suit de l’œil le visiteur tout autour de l’appartement, sans que celui-ci puisse se soustraire à son regard profond et sévère. (p. 140)
Pouliot dénonce maintes fois les actes de vandalisme antichrétien lors de la tourmente révolutionnaire
(p. 144) et rappelle la place de la religion dans l’architecture des édifices de culte, comme le Palais des papes à Avignon. Ses descriptions et ses narrations passent par une esthétique adossée à une vision sacrée du monde, où le christianisme – et plus précisément le catholicisme – opère comme prisme polarisant. La comparaison procède par succession d’images saisissantes renvoyant à une mémoire architecturale commune:
Avec ses palais fortifiés, ses trente donjons aux voûtes arquées, ses églises gothiques, et par sa conformation extérieure, Avignon ressemble à une énorme tortue soulevant ses écailles courroucées. (p. 145)
La métaphore prête le flanc à une superbe métonymie: Avignon est à l’image de la religion catholique en France, une cité assiégée et meurtrie par plusieurs décennies d’impiété et d’outrages. À travers d’autres extraits, nous aurons l’occasion de revenir à cet aspect important du journal.
Pouliot se livre à des notations plus prosaïques. On savait déjà à l’époque, contrairement à des opinions assez répandues, que le tabac était très nocif pour la santé:
C’est à Avignon que naquit Nicot, l’introducteur de la plante du tabac en France, et qui a donné son nom à la substance vénéneuse qu’il contient: la nicotine. (p. 145)
La description d’Arles commence par la mise en avant du caractère exotique de la cité, selon une opposition classique entre le nord et le sud24:
Tout autre est la physionomie de la petite ville d’Arles, qui a conservé un cachet distinctif. Tout y rappelle le règne de la race sarrasine: ses rues étroites, mal alignées, ses maisons de pierre bâties sans art, sans symétrie, ses coutumes bizarres, l’atmosphère brûlante qu’on y respire, tout rappelle les cités de l’Afrique. (p. 146)
Pouliot mesure la petite ville au regard de celle de Québec:
LaPlace du Forum[…] qui n’est guère plus vaste que le rond de chêne de Québec, est le centre d’affaires de la ville [d’Arles]. (p. 146-147)
Il insiste encore sur les ravages causés par la Révolution, dont il dénonce le vandalisme:
Larévolutions’est attaquée avec rage à ces reliques des âges chrétiens, et a mutilé et défiguré, pour la plupart, ces œuvres d’art incomparables. (p. 148)
La piété provençale se révèle à travers l’esthétique féminine, la joliesse des figures et des silhouettes:
Arlesest en outre renommée pour ses jolies femmes, qui réunissent dans un agréable assemblage les qualités des trois types grec, arabe et romain. […] C’est à la sortie de la messe surtout, dit-on, le dimanche, qu’elles apparaissent dans tout le rayonnement de leur beauté. (p. 150)
Marseille
Marseille fait l’objet d’un chapitre concis (p. 152-162), dont la pagination est défaillante dans l’édition: nous rectifierons les erreurs de numérotation de page à chaque citation, de manière à restituer un ordre logique. Pouliot se rend compte de l’importance de ce port au commerce florissant:
Marseillerappelle, par ses immenses quais, les célèbres docks de Liverpool, et ressemble à Chicago par l’agglomération disparate des différentes nationalités qui s’y rencontrent. Nulle part ailleurs que dans la capitale de l’Illinois, je n’ai vu semblable réunion d’éléments hétérogènes. Un même motif de spéculation, un même but de lucre attire toute cette foule et fait disparaître les inégalités des castes. La démocratie y bat son plein. Français, Belges, Anglais, Hollandais, Allemands, Russes, Arabes, Turcs, Espagnols, Italiens, etc. pullulent sur les places publiques et sur les jetées de Marseille dans l’attente d’une transaction financière heureuse, ou d’un embarquement prochain vers des cieux éloignés. (p. 152-153)
La comparaison est toujours à l’œuvre quand il s’agit de caractériser l’identité d’un peuple25. Elle reste un moyen sûr d’évoquer un lieu ou un groupement humain:
Leflegme anglais, qu’on remarque en débarquant à Liverpool, est remplacé ici par l’esprit sémillant du Marseillais, qui tient presque aussi fort à son titre de Marseillais qu’à celui de Français. (p. 153)
Autant le Français du nord est froid, réfléchi, sérieux, autant le Marseillais est enjoué, badin et léger. Le Marseillais est un grand admirateur du pronom personnel
jeet à l’entendre on croirait que ce sont les Marseillais seuls qui ont fait la France. (p. 153)
Le juge voit en Marseille une cité cosmopolite, exubérante et inquiétante à certains égards:
Laconfusion des languess’ajoutant à tout ce fatras d’idées, de physionomies, de caractères dissemblables, on pourrait appeler Marseille une véritable seconde tour de Babel. (p. 153-154, pagination rectifiée par nos soins)
L’accent marseillais est un autre objet de curiosité qui l’intrigue:
L’accent du Marseillais est tout-à-fait singulier et ne ressemble en rien à celui des autres habitants du pays. Il grasseye… comme enfin un Marseillais sait seul le faire. (p. 154, pagination rectifiée par nos soins)
La comparaison se poursuit en soulignant le sens de l’exagération des Marseillais. Ces derniers considèrent que Paris serait un petit Marseille si elle possédait une Canebière. Il en irait de même s’il leur arrivait d’évoquer Montréal: les Marseillais ramèneraient la rue Saint-Jacques à la Canebière. Le juge fait ressortir ainsi un trait commun à beaucoup de peuples, celui d’évaluer et de désigner l’étranger à leur propre aune:
Figurez-vous la rue St-Jacques à Montréal. Eh bien ! ce serait vraiment une grande Cannebière si, comme à Marseille, elle était bordée de terrasses et de cafés luxueux. (p. 155, pagination rectifiée par nos soins)
Cependant, Pouliot déplore le déclin du port de Québec, devant le spectacle saisissant de la rade de Marseille:
Ma pensée, à la vue de cette armée de navires, se reporta sur leport de Québec, et je me pris à désirer pour la vieille cité de Champlain qu’elle pût compter dans ses eaux, dans tout le cours d’une année, les navires qui, durant un seul jour, s’arrêtent et font escale à Marseille. Ce serait une véritable métamorphose pour Québec. Espérons pourtant que les jours de prospérité ne soient point perdus sans retour, et que bientôt nous reverrons le commerce et le négoce refleurir sur nos rives, et les navires marchands rechercher à l’envi, comme par le bon vieux temps du passé, les avantages que leur offre notre capitale. (p. 156-157, pagination rectifiée par nos soins)
L’aveu du juge Pouliot montre qu’il n’est pas ce type de voyageur dupe de son origine et toujours enclin à valoriser son pays au détriment de celui qu’il visite. Par ailleurs, sa nostalgie du bon vieux temps du passé
n’est pas seulement contemplative, car elle repose sur une critique lucide du temps présent.
De la série de descriptions fondées sur le pittoresque de Marseille se détache bien sûr celle de Notre-Dame-de-la-Garde:
Perché ausommet d’un rocherdénudé, se dresse fièrement le temple de Notre-Dame de la Garde. […] Du haut de ce promontoire, le panorama est superbe: l’eau va se perdre à l’horizon dans les eaux azurées de la Méditerranée. […]Le sanctuairede Notre-Dame de la Garde, magnifique temple aux puissantes et larges assises de granit, debout sur le roc, élève vers le ciel ses cimes altières dans une attitude de supplication et de prière. Une superbe statue de la Vierge, en bronze doré, tournant le regard vers la mer, couronne le sommet de la tour. (p. 157-159, pagination rectifiée par nos soins)
Ce chapitre sur Marseille permet à Pouliot d’honorer l’histoire des chrétiens des premiers temps, capables d’accomplir leur œuvre d’apostolat malgré les persécutions dont ils furent victimes. Ce rappel contient une discrète allusion, car nul lecteur au Canada français ne peut ignorer la politique anticléricale menée, depuis les années 1880, par les gouvernements successifs de la IIIe République. Pouliot fait un parallèle avec ce qui se passe dans la France contemporaine: l’État lui paraît renouer avec l’attitude sectaire des ennemis des premiers chrétiens. Il faut remarquer que la foi du juge dans le christianisme lui procure une qualité d’écriture qu’on retrouve difficilement ailleurs dans son récit. Ce sont les passages dans lesquels il exprime sa foi, avec délicatesse, mais fermeté, qui semblent les plus réussis, stylistiquement parlant.
Toulouse
De Marseille, Pouliot se rend à Toulouse, via Montpellier, où il s’arrête quelques heures pour visiter notamment la cathédrale: cela lui prend au total une journée en chemin de fer. La partie consacrée à cette ville du sud-ouest de la France correspond au dernier chapitre du livre (p. 163-174, pagination rectifiée par nos soins)
Pouliot note l’importance du commerce dans cette ville, qui est alors la sixième de France par la taille de sa population. Il souligne aussi la popularité, auprès des gastronomes, des mets du Sud-Ouest, comme le foie gras et les truffes. La description de la cité se fait encore à l’aide d’une métaphore expressive:
Toulouseest divisée en deux parties par la Garonne qui décrit une courbe donnant à la cité la forme d’un croissant à une double rainure formée par les boulevards. (p. 166, pagination rectifiée par nos soins)
Pouliot évoque un événement assez récent, la crue de la Garonne de 1875, qui a causé de multiples ravages, notamment dans le faubourg Saint-Cyprien. Ce quartier ouvrier a été en effet le plus touché par les inondations.
L’architecture sacrée est à nouveau mise en exergue:
De tous les édifices publics que possèdeToulouse, les monuments religieux sont de beaucoup les plus beaux et les plus intéressants. La cathédrale de St-Étienne, d’une fondation très ancienne, est remarquable par ses dix-sept chapelles entourant le cœur, qui lui-même est un chef-d’œuvre. On y constate cependant le travail de désagrégation que le temps y a laissé. (p. 168, pagination rectifiée par nos soins)
Pouliot ne manque pas de rappeler la situation difficile du catholicisme en France, en recourant encore à la comparaison avec le Québec:
Un spectacle touchant s’offre à nos yeux: une couple de cent enfants s’approchent pour la première fois de la Sainte Table. Sans chercher à réprimer cette distraction, notre pensée se reporte vers l’Église de notrevillage natal, où enfants et naïfs comme eux, nous allions faire notre première communion. Ce spectacle nous émeut, nous attendrit et réjouit notre cœur dans l’espérance de jours meilleurs pour la France. Car la nation qui inculque à la génération qui germe de pareils sentiments de foi et en permet la libre et ouverte manifestation ne saurait périr. (p. 169, pagination rectifiée par nos soins)
Dans ce passage, Pouliot reflète bien la pensée de la plupart des notables canadiens-français de son époque: déçus par l’évolution politique anticléricale de la France, ils demeurent cependant francophiles, dans l’attente hypothétique d’une résurrection de la foi catholique, condition de la grandeur et de la fidélité au passé. Cette position délicate envers la France débouche sur des contradictions qui alimentent par ailleurs une fibre fédéraliste: le refus du régime républicain instauré par la IIIe République permet de soutenir un discours à la fois francophile (sur le passé) et anglophile (pour le présent et l’avenir). De sorte que les contradictions évoquées, loin de mener à une impasse idéologique, finissent par produire une certaine cohérence dans une argumentation que l’on peut schématiquement résumer ainsi: la France ayant perdu son lustre passé, il n’est nul besoin de s’inspirer d’elle, sinon comme foyer de culture originel, source lointaine et largement fantasmée. La francophilie d’un Pouliot, à l’instar de celle de son mentor Wilfrid Laurier, se tourne vers le passé, dans un élan nostalgique: elle ne peut être que rétroactive, si bien que le seul modèle politique vraiment revendiqué est celui de l’Angleterre (le chef du Parti libéral britannique Gladstone étant la référence positive récurrente dans les allocutions de Laurier).
Lourdes et Paris: un modèle de prétérition
Le livre s’achève par un modèle de prétérition. Pouliot explique en effet les raisons pour lesquelles il ne relate pas son pèlerinage à Lourdes et son séjour à Paris, qui furent pourtant des moments clés de son voyage:
Un long intervalle – six années – s’est écoulé depuis que ma plume a jeté sur mon carnet ces quelques notes éparses, impressions premières d’un séjour de quelques mois en Europe. J’eus aimé les rendre complètes, d’autant plus que les pénibles et douloureux évènements qui se sont succédé dans ma famille auraient augmenté l’intérêt de la relation des incidents d’un voyage dont un frère aimé, une sœur chérie depuis disparus de la scène ont été, ainsi que ma mère, les agréables et joyeux compagnons. Mille occupations, les tracas journaliers de la vie, les soucis d’une santé chancelante m’ont empêché de réaliser ce désir. J’ai dû […] cesser mon récit, au moment d’entreprendre le pieux pèlerinage de Lourdes, qui inspire à tout chrétien les plus saintes pensées et remplit le cœur des plus salutaires émotions ; à la veille de faire connaissance avec Paris, la ville-lumière, le centre de l’intelligence et du savoir, qui en même temps qu’elle est le foyer d’attraction de tout l’univers, est pour tout Canadien français un
La Mecque26vénéré où il retrouve à chaque pas, incrusté dans le bronze et dans le marbre, et baise avec vénération les empreintes bénies de la grande nation qui tressa notre berceau et nous légua les modulations de sa langue incomparable et les principes d’une foi conservée, en Canada, intacte et vivace, malgré les ravages de l’athéisme qui menace de gagner jusqu’au cœur de la France. (p. 170-171, pagination rectifiée par nos soins)
Les circonlocutions de la dernière périphrase semblent caractériser subtilement les facettes contradictoires, mais néanmoins cohérentes, que recèle la francophilie bien réelle, affichée par la plupart des membres de l’élite canadienne-française.
La prétérition trouve une conclusion touchante, en ce qu’elle invoque les figures disparues d’une famille frappée par le malheur:
J’eus désiré évoquer les déchirements pleins de tendresse qui ont signalé la séparation, le suprême adieu d’avec la dernière fille survivante, la sœur chérie exilée par vocation religieuse sur la terre d’Angleterre, anxieuse d’ouvrir ses entrailles à une nouvelle semence, sous le sillon de la charité. […] À mon grand regret, il me faut hélas ! renoncer à faire revivre, dans cet humble opuscule, l’écho de ces heureux jours. […] Je tiens cependant à clore, avant la fin du siècle qui s’éteint, la narration de ces quelques réminiscences de voyages, pour les présenter, dès l’aube du vingtième siècle, à ma mère et aux chers miens, comme un bouquet de fleurs fanées il est vrai, mais qui seront, j’en suis sûr, aimées d’eux, à raison des souvenirs qui les embaument. (p. 171-174, pagination rectifiée par nos soins)
La boucle est bouclée: le voyage en Europe retourne à une intimité que le juge dévoile à son lectorat en usant du registre rhétorique du sensible, propre à la confidence. Son récit rappelle au proche entourage le temps qui passe, ainsi que les deuils cruels qui l’ont émaillé. Le basculement dans le xxe siècle apparaît comme l’élément déclencheur de cette édition tardive, sans doute à la suite d’un vœu ou d’une promesse. L’exotique rejoint ici exemplairement l’endotique, et en nourrit discrètement les plus secrets linéaments.
Notes
- Nos remerciements à Michel Simard, du Centre d’archives de Québec de BANQ, pour sa bienveillance et sa disponibilité à notre égard.
- Il a néanmoins été réédité sous forme de
reprint
par Forgotten Books, à Londres, en octobre 2018. - Pour prendre un seul exemple, les voyages d’agrément d’Anne-Marie Palardy en Europe dépendent des déplacements professionnels de son époux, Alfred Dubuc, riche industriel à la tête de la Compagnie de pulpe de Chicoutimi (Bertho-Lavenir, 2011).
- Dès 1840, une ligne maritime régulière entre l’Angleterre et les États-Unis fut ouverte par la compagnie Cunard.
- La charte fédérale de 1867 offre des places intéressantes aux politiciens du Québec, qu’ils soient bleus (conservateurs) ou rouges (libéraux), en raison de l’augmentation du nombre de sièges de députés et de sénateurs à pourvoir.
- Sur la période du Petit Séminaire de Québec qui précède l’entrée de Pouliot, voir Baillargeon (1994). Pour une appréhension plus globale de la formation dispensée par le collège classique, de son évolution dans le temps et de son idéologie, voir Galarneau (1978), Bienvenue, Hubert et Hudon (2014).
- Il exprime son attachement à ce territoire dans un texte manuscrit de deux pages, sobrement intitulé
Arthabaska
. BANQ, Centre d’archives de Québec, Fonds Famille Pouliot, P 436, S4, SS1/1. - Pouliot se remaria une troisième fois. Il fut donc veuf à deux reprises.
- Adrien, qui entrera chez les Jésuites, est né en 1905: il ne faut pas le confondre avec son homonyme, le mathématicien Adrien Pouliot, né en 1896.
- BANQ, Centre d’archives de Québec, Fonds Famille Pouliot, P 436, S4, SS1/1. Tous les éléments concernant les pièces testamentaires et les actions de bienfaisance du juge proviennent de cette source.
- Il s’agit de la Congrégation de Notre-Dame, qui ouvre un couvent à Victoriaville en 1870.
- BANQ, Centre d’archives de Québec, Fonds Famille Pouliot, P436, S4, SS1/1.
- Le frère du juge est l’aîné de la famille. Né en 1856, Charles-Eugène Pouliot a été député libéral de la circonscription de Témiscouata de 1896 à 1897, année de sa disparition. Ce décès précoce peut laisser penser qu’il était lui-même souffrant au moment de son voyage en Bavière.
- Il s’agit d’Alexandrine Pouliot (née en 1864 à Fraserville et décédée en 1937 à Paris), la première sœur auxiliatrice canadienne. En 1889, à la suite du décès de son père, Alexandrine entra dans la Congrégation des Auxiliatrices, où elle œuvra notamment à Londres, puis à San Francisco, lors du tremblement de terre de 1906. Lors de la Première Guerre mondiale, sans occuper des fonctions d’infirmière, elle aida des soldats blessés dans le couvent de la congrégation à Versailles, dont les locaux avaient été prêtés à la Croix-Rouge. Elle entretint une correspondance avec la féministe Marie Gérin-Lajoie, fondatrice de l’Institut Notre-Dame du Bon-Conseil de Montréal, en 1923 (Catta, 1964).
- Proches des Jésuites, les Auxiliatrices du Purgatoire forment une congrégation religieuse de droit pontifical, qui fut fondée par Eugénie Smet le 19 janvier 1856 à Paris, sur les conseils du curé d’Ars.
- Il pourrait s’agir de Charles Hyatt Richardson, médecin pneumologue né en 1859, qui acquit une certaine notoriété dans le traitement des maladies pulmonaires: http://files.usgwarchives.net/ga/macon/bios/gbs407richards.txt (consulté le 10 juin 2019). Curieusement, aucun Richardson ne figure dans The doctor’s who’s who (Wells Moulton, 1906): https://archive.org/stream/doctorswhoswho00mouluoft/doctorswhoswho00mouluoft_djvu.txt (consulté le 10 juin 2019).
- Président fondateur en 1890 de la Chambre de commerce de Fraserville, Alfred Fortin fut maire de Fraserville durant les années 1899-1901, 1905-1906 et 1913-1918.
- La compagnie ferroviaire Florida East Coast Railway fut fondée en 1885 par Henry Morrison Flagler (1830-1913). Ce dernier bâtit un immense empire grâce auquel il mit en valeur le potentiel touristique de la Floride, en développant considérablement l’offre de transport ferroviaire et l’hôtellerie, avec notamment la construction du prestigieux Ponce de León Hotel, à Saint Augustine. Il fut aussi l’associé de John Davison Rockefeller au sein de la société pétrolière Standard Oil, créée en 1870. La Florida East Coast Railway desservait toute la côte orientale de la Floride, jusqu’à Key West, mais elle périclita à cause du krach de 1929 (Bramson, 2002).
- Le contexte entourant cette loi est marqué par les relations tendues entre ce qu’on appelle la République
radicale
(1900-1914) et l’Église catholique (Lapierre et Levillain, 1992). - BANQ, Centre d’archives de Québec, Fonds Famille Pouliot, P 436, S4, SS1/1.
- Une biographie en français lui a été consacrée (Ortner, 1961).
- Pouliot fait sans doute allusion à la figure du réformateur suisse Ulrich Zwingli (1484-1531), qui adhéra vers 1520 à la Réforme protestante et l’introduisit à Zurich. On peut penser que le mot
swing
vient d’une erreur typographique, due à l’imprimeur. - Le parc de la Tête d’or se trouve sur les berges du Rhône, en plein cœur de Lyon: c’est le parc urbain le plus étendu de France, avec ses 117 hectares.
- On trouve déjà une distinction de ce type chez Germaine de Staël (1991 [1800]), laquelle s’inspire de la théorie des climats de Montesquieu.
- Ce genre de comparaison renvoie bien sûr à des stéréotypes culturels et à des clichés stylistiques. Mais le recours à cet espace doxique dans le récit de voyage est un moyen de se faire comprendre par les lecteurs. Autrement dit, le narrateur ne peut s’en passer s’il veut qualifier une identité et sa relation à l’autre. Il ne suffit donc pas de constater la présence de stéréotypes et de clichés, mais de noter leur efficacité narrative. Car tout récit suppose des schèmes collectifs communs, plus ou moins figés (Amossy, 2006).
- La référence à La Mecque pour évoquer Paris est assez insolite chez un esprit catholique comme Pouliot: Rome aurait été plus attendue que le lieu de naissance du prophète de l’islam, ce choix étant susceptible de semer le trouble par une connotation péjorative. Il est cependant possible que le juge ait voulu mettre l’idée de pèlerinage en valeur sans que la comparaison suscite une confusion entre sa fidélité à Rome et son attachement à la France chrétienne.
BIBLIOGRAPHIE
Sources
- Dictionnaire des parlementaires du Québec, 1792-1992 (1993). Bibliothèque de l’Assemblée nationale. Québec: Presses de l’Université Laval.
- Pouliot, Joseph-Camille (1894). Manuscrit du récit de voyage effectué en Europe en 1894. BANQ, Centre d’archives de Québec, Fonds Famille Pouliot, P436.
- Pouliot, Joseph-Camille (1901). Réminiscences de voyage. Fraserville: J. E. Frenette éditeur, 165 p.
Études
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- Baillargeon, Noël (1994). Le Séminaire de Québec de 1800 à 1850. Sainte-Foy: Presses de l’Université Laval.
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Tous droits réservés. Centre interuniversitaire d’études québécoises (CIEQ)
Dépôt légal (Québec et Canada), 2e trimestre 2021.
ISBN 978-2-921926-90-4 (PDF) – 978-2-921926-91-1 (HTML)
Crédits
- RÉVISION LINGUISTIQUE – Solange Deschênes
- Conception graphique – Émilie Lapierre Pintal en collaboration avec Marie-Claude Rouleau (Élan création)
- Coordination – Sophie Marineau
- Programmation – Tomy Grenier, Adam Lemire et Jean-François Hardy
Comment citer cette publication
Fabre, Gérard (2021). «Le juge Camille Pouliot en Europe (1894)» dans Gérard Fabre et Yves Frenette(dir.), Les récits de voyage et de migration comme modes de connaissance ethnographique: Canada, États-Unis, Europe (XIXe-XXe- siècles). Québec: Les Presses de l'Université Laval (coll. «Atlas historique du Québec» - AHQ - La francophonie nord-américaine). [En ligne]: https://atlas.cieq.ca/la-francophonie-nord-americaine/interactif/le-juge-camille-pouliot-en-europe-1894.html (consulté le 21 novembre 2024).