Édouard Montpetit en Californie (1918)
Par Gérard Fabre, chercheur, Centre national de la recherche scientifique (CNRS), Institut Marcel Mauss, École des hautes études en sciences sociales (Paris)Ce texte fait partie de l’anthologie Les récits de voyage et de migration comme modes de connaissance ethnographique
Considéré comme le premier économiste canadien-français, Édouard Montpetit (1881-1954) a également assumé de hautes fonctions institutionnelles auxquelles le préparait sa formation éclectique. Son nom n’est pas inconnu des Québécois, en particulier des Montréalais: depuis 1967, sa statue grandeur nature, que l’on doit à Sylvia Daoust, se dresse devant le pavillon De Sève, sur le campus de l’Université de Montréal ; tout près de là, une station de métro et un boulevard de la métropole portent son nom.
L’universitaire a relaté en trois volumes, dont l’un posthume, son itinéraire personnel (Montpetit, 1944, 1949, 1955). Par ailleurs, ses conceptions philosophiques, économiques et sociales ont fait l’objet de divers travaux1. Décrit comme le francophile le plus constant, le plus actif, de tout le premier demi-siècle
(Gélinas, 2011: 420), Édouard Montpetit n’a cessé de cultiver son attachement à la France: il y a effectué des séjours répétés, y compris en province, après avoir étudié à Paris. Si cet aspect de sa personnalité est connu et documenté, on sait moins que le professeur d’économie s’est également rendu aux États-Unis, étant donné ses responsabilités institutionnelles à l’Université de Montréal.
Sans conteste, ce pays l’attire: il y voit un vecteur d’émulation pour le Canada. Les réussites des États-Unis doivent orienter, selon lui, les mutations de la société canadienne qui se manifestent, d’une guerre mondiale à l’autre, à travers l’urbanisation, l’industrialisation et les modes de consommation – la province de Québec ne faisant nullement exception. Ainsi, sa défense de la tradition française s’articule à un tropisme moderniste américain: il propose in fine une synthèse sélective des deux sources – la France incarnant les Anciens, l’Amérique les Modernes. Ce projet peut passer pour volontariste, il n’en nourrit pas moins sa quête identitaire d’un Canada binational (Fabre, 2017).
C’est en mars 1918 que Montpetit effectue à Berkeley son premier voyage officiel en tant que délégué de la province de Québec pour le cinquantenaire de fondation de l’Université de Californie. Dès son retour, le professeur montréalais s’attelle à la rédaction d’un article publié dans la Revue trimestrielle canadienne, dont il est le rédacteur en chef. Depuis 1915, il anime ce périodique fondé par l’Association des anciens élèves de l’École polytechnique de Montréal. Cet établissement voit le jour en 1903, tandis que l’École des hautes études commerciales ouvre en 1907. En 1920, année où l’Université de Montréal s’émancipe de celle de Laval, Montpetit fonde l’École des sciences sociales, économiques et politiques, qu’il dirige jusqu’en 1942. Ces deux premières décennies du siècle correspondent à un moment crucial, celui où les élites canadiennes- françaises se dotent des formations d’excellence qui lui faisaient cruellement défaut dans les domaines des sciences, des techniques et de la gestion.
Quelques repères biographiques
Édouard Montpetit est né sur la Côte-du-Sud, à Montmagny. Son père, André-Napoléon Montpetit, avocat et homme de lettres, est un fervent libéral, admirateur inconditionnel de Wilfrid Laurier. Il acquiert une certaine réputation grâce à un ouvrage audacieux – Nos hommes forts (Québec, Darveau, 1884) –, un éloge sans réserve des batailleurs
, dans lequel il considère la force comme un trait caractéristique de la race canadienne-française
(Lemire, 2003: 99). La mère d’Édouard – Adèle Labelle – est issue d’une famille de lettrés: son père est professeur, ses frères, Ludger et Elzéar, des écrivains reconnus localement.
Dès la prime enfance d’Édouard, la famille Montpetit s’installe à Montréal, rue Saint-Laurent, entre les rues De La Gauchetière et Craig. Après un bref séjour au collège Sainte-Marie tenu par les Jésuites, il entre au collège de Montréal et devient l’élève des Sulpiciens. Bachelier ès arts en 1901, il suit alors un cursus d’études juridiques à l’Université Laval de Montréal, où il obtient une licence en droit en 1904. Ne prisant guère la carrière d’avocat qu’il embrasse momentanément, il décide de partir à Paris grâce à une bourse de la province, dont il est le premier bénéficiaire. Entre 1907 et 1910, il se forme à l’économie ainsi qu’aux sciences politiques et sociales: son principal mentor est Anatole Leroy-Beaulieu, professeur à l’École libre des sciences politiques et spécialiste de la Russie impériale.
Sa formation européenne ne l’empêche pas de s’intéresser à la société américaine, dont il étudie soigneusement les bases économiques et le système universitaire2. Il en tire des réflexions intéressantes qui bénéficient d’une audience non négligeable au Canada français. En effet, outre la place stratégique qu’il occupe dans l’université, il participe à des réseaux culturels influents autour de revues (L’Action française, Revue canadienne, Revue économique canadienne, France-Amérique, Revue trimestrielle canadienne, Revue moderne, Le Nigog), tout en jouant un rôle politique discret auprès du Parti libéral.
Professeur polyvalent, Montpetit enseigne des matières variées: non seulement l’économie, mais également le droit, la politique commerciale, les finances publiques et les statistiques. Il assume aussi des fonctions administratives éminentes: secrétaire général de l’Université de Montréal en 1920, puis directeur des relations extérieures de la même université en 1931. Il n’est donc pas un intellectuel isolé, mais un chef d’école, détenteur d’un pouvoir institutionnel. En témoigne l’ascendant durable qu’il exerce sur plusieurs générations d’étudiants. En matière de rayonnement universitaire et de carrière politique, administrative ou diplomatique, ses disciples les plus connus se nomment Léon-Mercier Gouin4, Jean Désy5, Esdras Minville6, François Vézina7, Jean Bruchési8 et François-Albert Angers9.
Une américanophilie affichée sans complexe
Comme l’atteste la lecture des extraits retenus, Montpetit érige les États-Unis en modèle pour la science et ses applications industrielles. Quand il compare l’économie de ce pays à celle de l’Allemagne – alors que les deux pays sont en guerre en 1918 –, il insiste sur ses finalités pacifiques, et non militaires. Il ajoute que le gouvernement allemand s’est inspiré, sous le IIe Reich, des États-Unis, de même que ses industriels ont, selon lui, copié les méthodes américaines, en adoptant le taylorisme et les chaînes de fabrication.
Le secrétaire général de l’Université de Montréal croit que l’Amérique doit servir de phare à la société québécoise afin de faire entrer cette dernière dans une ère de conquête, de supériorité
, comme il l’écrit dès 191710. Ainsi récuse-t-il l’idéologie de la survivance: aux dangers d’une submersion exogène, il oppose l’émulation des réussites américaines ; à l’endiguement des influences étrangères, il préfère leur assimilation pour autant qu’elles se révèlent opportunes.
C’est pourquoi son récit n’exprime pas le malaise identitaire si fréquent chez ses contemporains canadiens-français. Il n’en demeure pas moins quelques symptômes: on peut les relever entre les lignes, notamment à travers sa soif de reconnaissance internationale. Mais le professeur ne semble pas atteint, pour autant, d’une affection mimétique qui l’amènerait à chercher toujours ailleurs la clé d’une éclatante réussite. Au regard de la société en mal de reconnaissance internationale à laquelle il appartient, il n’y a rien de déchirant ou d’angoissant dans sa façon d’exposer les succès des expériences universitaires américaines: il lui paraît tout naturel d’en tirer les leçons et de les transposer au contexte québécois.
Peter Southam note, lui aussi, que la nation américaine est le modèle préféré
(1978: 339) du professeur de l’Université de Montréal: John Rockefeller trouve grâce aux yeux de ce dernier parce qu’il prône l’alliance du capital et du travail, comme dans les encycliques. Montpetit manifeste cette préférence dès ses premiers contacts avec les États-Unis: en mars 1918, le fonctionnement et la culture (patrimoniale et entrepreneuriale, dirait-on aujourd’hui) de l’Université de Californie l’impressionnent fortement. Le professeur associe en effet l’opulence financière et l’efficacité pédagogique des universités des États-Unis: avec un budget colossal de plus de trois millions de dollars pour l’année universitaire 1917-1918, une enveloppe composée de crédits de l’État, de dons, de legs, et consolidé par des placements judicieux, Berkeley peut se permettre un enseignement gratuit pour les étudiants qui résident en Californie. L’économiste formé en France ne tarit pas d’éloges sur les vertus créatrices du capitalisme américain. S’il lui arrive de se prévaloir d’autorités intellectuelles françaises, c’est une stratégie habile de sa part pour mieux dénoncer l’arrogance intellectuelle qui existe en France et qui sévit parfois chez ses propres compatriotes. Globalement, la comparaison entre les universités en France et aux États-Unis tourne clairement à l’avantage du deuxième pays. Ce qui séduit particulièrement Montpetit chez ce dernier, c’est son système de fondations pour soutenir la recherche et offrir un complément nécessaire à l’enseignement. Plus tard, il profitera lui-même, au Canada, d’un système équivalent: en 1928, par exemple, il donnera trois conférences à l’Université Mount Allison, au Nouveau-Brunswick, sous les auspices de la Clarence Webster Foundation.
Il faut être attentif, répète-t-il, à ce que font les États-Unis en matière d’enseignement supérieur, ne pas mépriser l’aspect extérieur – souvent clinquant, il est vrai – de leurs réalisations. C’est en observateur respectueux de ses hôtes qu’il voyage. Son regard est sans œillères ni dédain: aucune trace, chez lui, d’ethnocentrisme à l’égard des États-Unis. Débarrassé de l’esprit de clocher qui nuit à la raison comparative, il voit en Berkeley le paradis de l’enseignement
(Montpetit, 1918: 11, 1949: 199). Une once d’ironie accompagne cette formule un peu trop flatteuse: le président de l’Université de Californie, Benjamin Ide Wheeler, est décrit comme prêt à parler de tout en toute occasion
et s’acquitt[ant] de cette tâche avec élégance et non sans une certaine coquetterie
(Montpetit, 1918: 11). Bref, ce dernier a tout du diplomate, ce qui ne peut que combler d’aise un observateur appelé à remplir une fonction similaire. Pour autant, cela ne le laisse pas dupe de la vacuité et de la duplicité qui peuvent la caractériser.
Se garder d’un mépris facile
(Montpetit, 1918: 11) demeure une préoccupation de l’intellectuel canadien-français. Par exemple, il se déclare favorable à une plus grande pratique de l’éducation physique au Québec, à l’instar des États-Unis. Il n’entend pas calquer son opinion à ce sujet sur celles de ses maîtres français. Cette marque d’indépendance intellectuelle n’a rien de subversif ou d’irrespectueux. Elle s’accompagne d’un enseignement moral à tirer des expériences éducatives étrangères et résumé en une litote dont il est friand: Il y a le milieu, le juste milieu
(Montpetit, 1918: 11).
Valoriser l’image du Québec à l’étranger
Les considérations de Montpetit sur les réalisations américaines, tout au moins celles qu’il juge les plus raisonnables, lui servent d’arguments dans son dessein de moderniser la province de Québec, tout en défendant un nationalisme modéré, sans excès ni passion délétères. Chaque fois qu’il en a l’occasion lors de dîners et de conférences à Berkeley, Montpetit se fait l’avocat de son groupe ethnique sans craindre d’être mal compris et avec la certitude d’en être plus estimé11
(Montpetit, 1949: 202). Quand le délégué de la province de Québec relate son séjour californien, sa stratégie discursive consiste à faire précéder l’affirmation de ses propres convictions nationalistes par un éloge des rituels patriotiques des États-Unis: il en use à l’occasion de la cérémonie d’ouverture, au Harmon Gymnasium, de l’empoignant spectacle
du salut au drapeau, de la célébration du cinquantenaire – le Charter Day –, ou encore de l’inauguration du Gilman Hall et de la Sather Tower (Montpetit, 1918: 8-16). Le professeur est touché lorsque la province de Québec est à l’honneur, avec par exemple la prouesse de la construction du grand pont de Québec – même si ses effondrements en 1907 puis en 1916 constituent des événements traumatisants. Il sait cependant que la province n’est guère connue aux États-Unis. Ainsi s’amuse-t-il de l’erreur dont il est lui-même victime, quand il est présenté lors d’une soirée donnée par l’University Club de San Francisco comme professeur au Naval Institute of Montreal
. Magnanime et faisant même preuve d’autodérision, il ajoute: Corriger d’une lettre fut l’affaire d’une minute et d’une rougeur au front ; mais le mot lui-même ne perdait rien de sa saveur
(Montpetit, 1918: 19-20).
Les louanges qu’il adresse à l’université californienne, à son corps enseignant et à ses bienfaiteurs le conduisent inévitablement à une comparaison avec le Québec: il en ressort que les États-Unis pourraient, à maints égards, exercer une position de modèle. Si efficace et applicable soit-il, le modèle américain ne saurait cependant annihiler la personnalité propre du Canada français: c’est toute la dialectique subtile que Montpetit met en jeu dans son article. Il souligne à la fin de ce texte l’intérêt manifesté envers le Canada français par beaucoup de ses collègues américains: ces derniers se plaisent à étudier nos difficultés, […] nous ont compris et encouragés
(Montpetit, 1918: 20), précise-t-il. Le professeur de l’Université de Montréal assure qu’un rapprochement des points de vue étrangers sur le Canada français s’est produit à l’occasion du cinquantenaire, et qu’il s’agit là d’une bonne façon de défendre son image à l’étranger. Il ne semble pas douter que sa propre force de conviction a emporté l’adhésion et permis de dépasser les idées reçues. Par exemple, il n’hésite pas à démentir avec force auprès de ses collègues la mauvaise réputation culturelle de la province. Une autre rectification s’impose au sujet du cliché véhiculé par les élites anglophones sur le French Canadian patois, lequel fait l’objet de sa part d’une remarque indignée: […] notre langue est riche encore et non pas abâtardie
(Montpetit, 1918: 20).
La confrontation avec les États-Unis, ses universitaires, ses ingénieurs et ses industriels ne doit pas se traduire chez les Canadiens français par une position défensive: selon Montpetit, c’est un objectif d’émulation qu’il convient de se fixer, d’autant plus qu’il met en exergue, dès le début de son texte, la part française de l’université américaine. L’éloge qui accompagne le constat de la puissance américaine lui permet de s’enflammer quand il rappelle l’origine et les liens français de l’Université de Californie: le révérend Henry Durant, son fondateur, et Émile Bénard, un de ses architectes12. Il note aussi, à l’encontre des stéréotypes sur le libéralisme américain, l’interventionnisme éducatif de l’État.
Un autre écrit13 est caractéristique de la stratégie discursive qu’il adopte à l’égard des États-Unis: Montpetit y relate un événement antérieur au cinquantenaire de l’Université de Californie, la visite au Québec en décembre 1914 du gouverneur franco-américain de l’État du Rhode Island, Aram-J. Pothier14. Il se plaît à souligner combien ce dernier, à l’image des Canadiens français, est fier de ses origines. Le gouverneur apporte une leçon d’énergie
, amplifiée par le fait que sa réussite et sa noblesse tiennent à son origine française
(Montpetit, 1949: 155). Progrès, tradition, bon sens, harmonie et modération, tels sont les mots qu’utilise Montpetit pour prononcer l’éloge de Pothier, tout en donnant en exemple ce dernier au Québec. À l’endroit des États-Unis, devenus la patrie de Pothier, il assure que leur idéal ne s’est pas borné à la prospérité matérielle
(Montpetit, 1949: 153).
Dans l’esprit du professeur de l’Université de Montréal, le philo-américanisme doit servir, en définitive, les intérêts bien compris du Canada français. La mise en valeur récurrente chez lui de la part des États-Unis qui revient à des acteurs français ou canadiens-français participe à cette démonstration. Au demeurant, la prise en compte indifférenciée de cet apport francophone, qu’il provienne de la France, du Québec ou des Franco-Américains, est à mettre au titre d’une vision cohérente, si ce n’est compacte, d’un grand ensemble culturel francophone dont la proximité des liens historiques est sans relâche mise en avant.
Une logique de réappropriation
Conscient des risques de sclérose qui menacent le corps enseignant québécois, Montpetit préconisait dès 1918 une plus large ouverture à l’étranger, arguant des possibilités de reconnaissance internationale qu’une telle politique pouvait offrir. L’entrée dans la modernité passait forcément, selon lui, par cette voie. Son double projet de concilier modernité et tradition, vitalité américaine et héritage français, il l’exposera vingt ans plus tard, en 1938, dans un texte rédigé pour défendre l’Institut scientifique franco-canadien, qu’il copréside:
Nous avons besoin de la science française, des méthodes françaises, et, je le répète, de l’expression française. Je ne repousse pas, qu’on veuille bien le noter, la science américaine, qui a fait d’immenses progrès, seule source en certains cas où nous puissions nous porter (Montpetit, 1938: 9)15.
Avec la prudence dont il est coutumier, Montpetit prône une logique de réappropriation: il s’agit de transformer les connaissances acquises en les assimilant
, ce qui nécessite un socle solide à la française
(Montpetit, 1938: 9-10). De ce raisonnement découle une tension dialectique entre les deux pôles de référence, et non l’emprise de l’un ou de l’autre, pour autant que, loin de réduire ce socle à la française
au modèle hexagonal, on le considère comme partie intégrante de la culture canadienne-française. L’idée de réappropriation, telle qu’elle a mûri dans l’esprit du coprésident de l’Institut scientifique franco-canadien, était déjà en germe lors de son séjour éclair, mais fructueux, à Berkeley, en 1918. Elle s’imposait d’autant plus à Montpetit que ce dernier pouvait comparer de visu la situation universitaire américaine avec celle de la France, où il avait effectué, une décennie plus tôt, trois années pleines d’études.
Extraits de l’article d’Édouard Montpetit, Six jours à Berkeley
, Revue trimestrielle canadienne, mai 1918, p. 1-2016
Édouard Montpetit n’est pas un voyageur anonyme dont on porterait au jour des écrits jusque-là inconnus. Toutefois, sa présence dans l’anthologie se justifie par la mise en évidence de l’aspect américanophile de sa personnalité. La présentation et la retranscription du récit de son voyage à Berkeley, en mars 1918, nous font découvrir ses activités de diplomate culturel
: une fonction, à la fois officielle et officieuse, qui lui ouvre l’accès au monde intellectuel américain, dont les modes de sociabilité sont étroitement liés au respect de rites universitaires. Elles donnent aussi l’occasion de revenir sur tout un pan de l’histoire de l’Université de Californie.
Unnom françaisest à l’origine de l’Université de Californie. En 1853, le révérend Henry Durant, diplômé de Yale University, fondait, à Oakland, la Contra Costa Academy qui devint, deux ans plus tard, le College of California. Il y eut, à l’ouverture des cours, huit inscriptions. C’était en 1860. Cette même année, le collège reçut à titre de donation un terrain de cent soixante acres situé un peu plus au nord de la ville, à un endroit qui porte, depuis 1886, le nom de Berkeley.
Ce n’était là qu’une institution secondaire ; mais cette première initiative devait conduire à l’établissement d’une université, dont la création était, d’ailleurs, prévue et facilitée par des dispositions formelles de la Constitution de 1849. En 1862, le Morrill Act fut voté par le Congrès américain dans le but de répandre aux États-Unis l’enseignement de l’agriculture et de la mécanique. En vertu de cette loi, des terres devaient être distribuées aux différents États qui jugeraient à propos d’organiser des écoles professionnelles de ce genre. La Californie se fit concéder, de ce chef, une étendue de cent cinquante mille acres. Immédiatement, la fondation d’une école d’Agriculture, des Mines et des Arts mécaniques fut décidée. Puis il parut que l’on pouvait donner plus d’ampleur au projet. Le Collège offrait de céder tous ses biens à l’État à la condition que fut constituée une université réunissant une école des Mines, une école de Génie civil, une école d’Arts mécaniques, une école d’Agriculture et une faculté ou, plutôt, une section ou collège des Lettres. L’État accepta cette proposition et, le 23 mars 1868, le gouverneur H. H. Haight signait la charte de l’Université de Californie17.
Encinquante ans, l’Université s’est prodigieusement développée: à l’américaine. Elle est installée à Berkeley, depuis 1873, face à la baie de San-Francisco et à la célèbre Porte d’Or où il arrive, certains jours de l’année, que le soleil sorte triomphalement de l’horizon ; à l’ombre des eucalyptus géants dont les ciceroni nous disent les migrations depuis le sol de l’Australie, arbres élégants et droits qui gardent, pendant l’hiver, leurs feuilles longues et fines et cèdent, par lambeaux flexibles, leur écorce grisâtre: ce qui prête à des manifestations d’un goût douteux de la part des entrepreneurs en vols d’oiseau ; au milieu des chênes tordus, qui semblent de vieux savants, maigres et secs, mais robustes et obstinés ; près des innombrables palmiers, qui sont ici des accessoires de théâtre et, là-bas, des choses vivantes, vigoureusement plantées dans la terre, portant, au bout d’un corps dénudé, une tête éperdue ; dans ce décor si souvent décrit, qui rappelait au sénateur d’Estournelles de Constant la paix de la Côte d’Azur18 et à M. André Siegfried, d’ordinaire assez calme, les chauds reflets de l’Andalousie19: grand circuit classique des voyages de noces cossus, suprême snobisme du milliardaire en retraite, apaisante harmonie d’une cité intellectuelle.
Des premiers bâtiments en bois, assez semblables à ceux de l’Université de la Colombie-Britannique, bâtie en plein Vancouver à côté d’un hôpital de contagieux, il ne subsiste guère, aujourd’hui, que quelques types pauvres qui disparaîtront dès le prochain million. Des édifices en brique, – celui, notamment, où se donnent encore des cours de chimie, – marquent la seconde étape du progrès. Puis viennent les monuments récents, par quoi l’Université entre dans le définitif20. Ils sont de granit et de marbre blanc. Les toits sont faits de tuiles rouges. L’architecture est remarquable, sobre de lignes, disciplinée, sans rien qui rappelle l’horrible de certaines constructions américaines. On en retient à la fois une impression de richesse et de bon goût: ce qui est bien, croyons-nous, une des choses les plus difficiles à réaliser. Il est juste d’ajouter que les plans furent soumis à un double concours, dont l’un eut lieu à Anvers et l’autre à San-Francisco ; et que le premier prix fut attribué à un Français, M. Émile Bénard21. La mise à exécution fut poursuivie méthodiquement, avec le concours de l’État et grâce à l’ardente générosité des amis de l’Université. On construisit d’abord le fameux Théâtre grec, au flanc de la colline qui forme l’arrière-plan du merveilleux campus. Dix millepersonnes peuvent y prendre place sur des gradins échelonnés au grand soleil de Californie. C’est là que les fêtes universitaires ont lieu, les représentations dramatiques, les collations de titres. Des chaises curules, dédiées à d’anciens professeurs, ornent l’orchestra. Ce théâtre fut donné à l’Université par William Randolph Hearst. On chuchote qu’il fut commencé à l’occasion d’une campagne électorale. La campagne tourna mal, le théâtre aussi: il fut inachevé. Il garde cela de classique, avec le reste. Le California Hall, où loge l’administration générale, fut ensuite érigé par l’État. Le Hearst Memorial Mining Building fut inauguré en 1907. La bibliothèque – the University Library – fut terminée en 1911. Elle est due à la libéralité de M. Charles Franklin Doe. Elle possède plus de 300 000 volumes. […]
Montpetit détaille les collections que contient la bibliothèque, en y ajoutant la description de son système de classification. Il évoque les donateurs et les souscripteurs qui ont permis de construire plusieurs édifices et d’améliorer la voirie. C’est alors qu’il exprime des souhaits pour son propre pays en parlant à la première personne du pluriel.
Etl’œuvren’est pas terminée. L’Université a formé des projets qui seront menés à bien. Un jour, la cité toute blanche vivra sous les eucalyptus. Quelle leçon que cette lente et sûre réalisation, due à l’initiative privée et à l’appui de l’État ! Certes, nous nous passerions, pour commencer, du granit et du marbre ; et nous abriterions volontiers des études nouvelles sous les toits de bois. Une faculté des sciences, une faculté des lettres, une école d’art, un laboratoire de recherches scientifiques pourraient ainsi naître modestement et compter sur le temps et sur une sympathie agissante pour grandir et rayonner davantage. Quand travaillerons-nous à ériger la maison de la nation en unissant toutes nos forces ?
Déjà se dessine l’organisation pédagogique de cette Université de l’ouest américain, dont l’administration est confiée à un conseil composé de ceux que l’on appelle les
régentset qui reçoit ses directions scientifiques d’un sénat académique et des faculties placées à la tête des collèges. Le cadre où se meuvent encore les universités européennes est, ici, singulièrement élargi. On enseigne de tout. Le fondateur de Cornell disait, en 1865:Mon intention est de créer une institution où n’importe quel homme puisse s’instruire sur n’importe quel sujet.C’est une vaste mesure. L’Université de Californie, comme la plupart des universités américaines, a été conduite, peu à peu, à réaliser ce programme ambitieux. […]
Tous les collèges, écoles et sections spéciales (les cours par correspondance, entre autres) de l’Université de Californie sont alors énumérés. En outre, sont mentionnés tous les établissements (observatoires astronomiques, hôpitaux, fondations pour la recherche, musées, etc.) lui appartenant qui se trouvent en dehors du campus, soit à San Francisco même, soit en Californie ou dans le reste des États-Unis, soit encore à l’étranger (comme le Mills Observatory, à Santiago du Chili).
Pour faire fonctionner cette lourde machine il faut des millions ! On sait déjà que l’Université peut compter sur d’admirables générosités. Et puis, il y a le gouvernement ; car Berkeley est une institution d’État, et non pas, comme il arrive souvent dans l’Est, une université libre, non
fondéecomme nous disions autrefois, non subventionnée par le Trésor public. La vente des terres octroyées par les autorités, les crédits votés et les fonds constitués par l’État, les droits d’inscription à certains cours, – car l’enseignement, à Berkeley tout au moins, est gratuit pour tous les étudiants qui résident en Californie, – forment le côté recettes du fort budget (plus de trois millions de dollars, en 1917-1818) dont disposent les régents22. Et si,comme nous disionsavec une moitié de raison,l’argent n’est pas tout, on conviendra que c’est déjà quelque chose. Certes, on peut construire des palais sans que l’enseignement en soit amélioré de beaucoup: la maison ne fait pas l’école. Ne soyons pas, pourtant, plus modestes qu’il ne sied. La vraie vertu de l’or est de produire, en définitive, l’œuvre de science. Pour s’instruire, pour acquérir la force intellectuelle qui est le ferment de l’énergie nationale, il est bon, il est essentiel d’être d’abord maître chez soi et bien renté. Dans la civilisation où nous vivons, les institutions se jugent souvent par leur aspect extérieur. C’est un tort assurément ; mais n’en est-ce pas un également que de négliger cette disposition d’esprit et de n’en rien tirer d’avantageux ? D’ailleurs, les universités américaines ne sont pas seulement riches. On les a comparées aux universités européennes ; et on a montré, par exemple, tout ce que la science française a su accomplir dans des salles dénudées, parfois même dans d’obscurs réduits. On a décrit le laboratoire de l’immortel Pasteur ; que n’a-t-on rappelé celui de Branly ? Est-ce là un argument péremptoire ? N’est-ce pas plutôt une de ces raisons qui peuvent nous inciter à nous croire supérieurs aux autres sous le prétexte, assurément flatteur mais peut-être fallacieux, que nous suscitons de grandes choses par le seul effort de l’intelligence créatrice, dédaigneuse de l’esbrouffe et du bluff ? Regardons mieux: les universités américaines, pour être royalement dotées, n’en sont pas moins sérieuses et remarquablement organisées. Elles produisent. On peut ne pas admettre toutes leurs méthodes d’enseignement ; on peut affirmer, dans une certaine mesure, que leurs professeurs ne font pas toujours montre des qualités que nous prisons. Ce n’est là qu’une question d’expression. Le fonds ne manque pas, et c’est le principal. Et ce n’est pas un mal, en fin de compte, que de pouvoir enrégimenter des compétences, fût-ce à son de trompe, de les livrer au précieux travail de recherche, de leur permettre de pousser des découvertes. Allons, corrigeons-nous de ce léger défaut que signalait hier, chez les Français, M. de Launay23. Ne méprisons pas trop la richesse des autres. Ne la croyons pas fatalement stérile pour le bien et le beau. Le capital est un bon outil de progrès24.***
Dès l’année dernière l’Université de Californie avait décidé de célébrer son cinquantenaire. En décembre 1917, des invitations furent adressées à quatre-vingt-dix universités américaines et à vingt-et-un gouvernements étrangers. Toutes les provinces du Canada furent priées d’envoyer des délégués à Berkeley. Les gouvernements de la province de Québec et de la Colombie-Britannique accueillirent avec empressement l’idée de cette réunion universitaire et désignèrent des représentants officiels. Reconnaissons-le tout de suite: ce ne fut pas sans une vive satisfaction que nous constatâmes, dès notre arrivée au Palace Hotel, à San Francisco, avec quelle affabilité l’Université accueillait notre vieille province française qui, tout de même, malgré ce qu’on avait chanté sur tous les tons, – était là.
L’Est américaina d’abord conçu quelque humeur, a-t-on dit, à l’annonce de cette fête de l’enseignement, organisée en pleine guerre. Il lui paraissait que toutes les énergies devaient se tendre vers la défense militaire et la production économique. Il se ravisa quand il connut le caractère que l’on voulait donner à cette célébration. D’après le rapport annuel du président Benjamin Ide Wheeler, on avait, dès 1917, arrêté un programme où, notamment, l’étude des relations internationales tenait une large place25. On songeait à convoquer une Conférence où ces questions seraient débattues. Le moment ne pouvait pas être mieux choisi pour dégager les conséquences de la déclaration de guerre du 6 avril. La République américaine était entrée non plus dans le
concert des nations, comme on disait naguère, mais bien dans leur formidable querelle. Elle prenait attitude. Fort judicieusement le cinquantenaire de Berkeley fut consacré à l’exaltation des États-Unispuissance mondiale, suivant le mot déjà lancé en 1910 par Archibald Cary Coolidge.Une semaine entière de réunions, de visites et de banquets ! Sait-on ce que cela représente ? Le président de l’Université du Missouri, M. Hill, qui paraît pourtant avoir la robuste physiologie d’un joueur de base-ball entraîné, confessait, dans un discours prononcé, après cinq jours de ce régime, devant le University Club de San Francisco, être littéralement rompu alors qu’il était venu vers la Porte d’Or avec l’agréable perspective d’une week of leisure sous les palmiers fous. Et nous évoquions le souvenir des délégués qui nous viennent d’Europe, qui prennent, par jour, trois repas, deux thés, un souper, font cinq visites, prononcent trois allocutions et, par surcroît, une conférence. Quelle constitution faut-il avoir pour trouver encore, fût-ce officiellement, le moyen d’être aimable et la force de sourire !
Lacérémonied’ouverture groupa les délégués au Harmon Gymnasium où M. Benjamin Ide Wheeler et le professeur C. H. Reiber, président du comité de réception, prononcèrent des paroles de bienvenue. Dès l’après-midi, la première séance de la Conférence des Relations internationales eut lieu au Wheeler Hall, sous la présidence du professeur Henry Morse Stephens, de l’Université de Californie, et porta sur l’histoire de la région du Pacifique dont un des plus piquants aspects fut traité par le professeur Payson Jackson Treat, de la Leland Stanford Junior University, sous ce titre: les fondements de la politique américaine en Extrême-Orient. Puis, la province de Québec fut à l’honneur. Le docteur George Fillmore Swain, l’éminent professeur de génie civil à Harvard et au Massachusetts Institute of Technology, avait choisi pour sujet d’une conférence prononcée dans le grand amphithéâtre du Wheeler Hall: The Quebec Bridge. En maître, il raconta la tragique aventure de cette gigantesque entreprise. Et, avouons-le de nouveau, ce nous fut un plaisir très sensible que de reconnaître tout l’intérêt soulevé par l’orateur pour une chose de chez nous, et qui existe. Le soir, un égyptologue, le professeur James Breasted, de l’Université de Chicago, directeur du Haskell Oriental Museum, une douce figure de savant, presque de contemplatif, révélait à un auditoire recueilli les manifestations lointaines de l’internationalisme des premiers temps de l’histoire.
Le 19 mars, la Conférence étudia deux autres manifestations de la vie internationale. Pendant la matinée, sous la présidence du professeur Carl Copping Plehn, de Berkeley, M. Walter MacArthur, commissaire de la Navigation, de San Francisco, exposa à ses auditeurs les lourds problèmes du travail ; et, de trois heures à cinq heures de l’après-midi, au East Hall, sous la présidence du docteur Barton Warren Evermann, des mémoires furent lus et commentés touchant l’océanographie et la météorologie du Pacifique nord par le professeur W.-E. Ritter, directeur de la Scripps Institution for Biological Research ; le docteur C.-F. Marvin, de Washington ; le docteur George-F. McEwen, de la Scripps Institution ; M. Arthur Blair, de Salt Lake City ; le docteur Chs.F. Brooks, de Yale ; le docteur W.-J. Humphreys, de Washington ; le docteur W.-B. Dawson, d’Ottawa. Trois conférences intéressantes étaient inscrites au programme de ce jour: l’une sur Jean-Jacques Rousseau et la renaissance du sentiment moral au xviiie siècle, faite par M. Charles Cestre, ancien élève de Harvard et professeur de littérature anglaise à l’Université de Bordeaux ; l’autre sur la vie des animaux sauvages, prononcée par le docteur Harold C. Bryant, de la Commission de chasse et de pêche de la Californie ; enfin, la seconde étude du professeur Swain: the New Quebec Bridge. La conférence de M. Charles Cestre fut le point de départ d’une discussion amorcée par le professeur Charles Mills Gayley au déjeuner qu’il nous offrit dans une des salles du Faculty Club où déjà avaient pris place, à d’autres tables, des représentants de gouvernements étrangers et M. Gilbert Chinard, professeur à l’Université de Californie, auteur de plusieurs ouvrages sur la littérature française et l’Amérique, que nous connaissions déjà par ses livres et que nous avions été particulièrement heureux de saluer au passage. M. Charles MillsGayleyétait notre
hôte, comme on dit là-bas. C’est une coutume anglaise, jalousement observée dans les institutions américaines, que de donner ainsi un guide et, en quelque sorte, un conseiller aux visiteurs qui séjournent à l’Université. M. Charles Mills Gayley est de descendance anglaise et citoyen américain. Il est venu, il y a plusieurs années, en Californie, décidé à s’y installer définitivement, ayant, suivant sa propre expression,coupé tous les ponts derrière lui. C’était, à l’époque, unpays dur, ajoutait-il en souriant ; seul lerobustepouvait y demeurer: nous y sommes restés, vaillamment, comme vous avez fait, plus au nord, vous, les descendants des solides gaillards que la France envoya sur ce continent pour en faire la rude conquête. Il suit avec une véritable passion les progrès de la nation américaine. Il y retrouve cette dominante: l’influence anglo-saxonne ; il dit même, après une pause, l’influence anglo-saxonne et française ! Il compte que cette influence unifiera la masse, composée de types venus des quatre coins du monde et dont la disparité physique frappe davantage dans les rues de San Francisco où l’on rencontre des Italiens, des Espagnols, des Allemands, des Français, et même des Canadiens français qui seraient sans doute fort étonnés si l’on cédait à la tentation d’aller serrer la main et de leur demander depuis combien de temps ils sont là. Si le professeur Gayley rapproche ainsi la pensée française et la pensée anglaise, c’est qu’il en a suivi les relations, dans l’histoire. Auteur de plus de vingt ouvrages, il vient de publier un volume intitulé Shakespeare and the Founders of Liberty in America où il explique comment les idées de sir Edwin Sandys et de Richard Hooker ont été reprises par John Locke, qui inspira Jean-Jacques Rousseau, et se retrouvent jusque dans la célèbre Déclaration de l’Indépendance américaine26 et même, si on veut y prendre garde, dans la Déclaration des Droits de l’homme. Au xviiie siècle, la pensée française aurait ainsi rencontré un double courant, l’un venu de l’Angleterre et l’autre d’Amérique, avec LaFayette, ce dernier formé déjà par tout le flot de la tradition anglaise. Les Américains de la première heure s’apparentent à leurs ancêtres anglais et, s’ils citent Montesquieu et Turgot, ils paraissent ignorer le Contrat Social dont il ne serait fait mention, aux États-Unis, qu’en 1830. Cette théorie, développée avec chaleur et avec une rare distinction d’esprit par ce professeur de littérature, n’est pas sans fondement: elle illustre, dans le sens français du mot, les origines des libertés américaines, que l’on simplifie trop volontiers alors que, dans la réalité, elles sont complexes comme tout ce qui est une source de vie et d’action. La conversation prit fin sous les dômes verts du campus. En compagnie du docteur A.-J. Brodeur, Canadien français d’origine et professeur à l’Université de Californie, nous nous arrêtâmes au campanile: le temps d’en faire l’ascension et de jeter les yeux sur Berkeley, tout près de nous, avec ses rues paisibles, larges et ornées d’arbres ; sur Oakland, un peu plus loin, déjà plus bâtie, plus ville, obscurcie par l’usine ; puis sur San Francisco encerclant la baie bleue qui s’ouvre sur l’Océan, sur l’Extrême-Orient où le rêve nous emporte.[…]
Une réunion autour de la guerre est alors organisée sous l’égide du président Wheeler, à laquelle est convié Montpetit.
Leprésident d’une universitéaméricaine a, si l’on nous passe cette expression, des fonctions d’ubiquité. Il est le grand exécutant, le metteur en œuvre. Il doit être partout et, comme l’a écrit M. Maurice Caullery, être prêt à parler de tout en toute occasion. Le président Wheeler s’acquitte de cette tâche avec élégance et non sans une certaine coquetterie. Il nous a paru y apporter une aimable philosophie, une rare habileté et les qualités d’un diplomate. Avec quelle curiosité amusée ne suivions-nous pas, sur un album d’autographes, la liste des amitiés célèbres venues rendre visite au paradis de l’enseignement, à Berkeley, où les noms de Bernhardi et du docteur Oswald succédaient à ceux du colonel Roosevelt et du sénateur d’Estournelles de Constant: c’était toute la pensée d’avant-guerre, avec ses ambitieuses traitrises et ses douces illusions. […]
Parmi les temps forts auxquels s’attache Montpetit figurent les conférences prononcées par des naturalistes. Il insiste aussi sur la conférence donnée par M. O.-G. Villard, directeur de la revue The Nation, dont le thème est le rôle international du journalisme.
À la même heure, auHarmon Gymnasium,séance d’athlétisme et série d’exercices physiques par les élèves de l’Université. N’est-ce pas Brunetière qui disait que la France avait choisi, pour instaurer l’éducation physique dans les écoles, le moment même où les Anglais l’abandonnaient à moitié ? Il est certain qu’il ne suffit pas de pétrir le corps et que la supériorité d’une race ne se jauge pas sur la seule valeur des muscles. Gardons-nous, ici encore, d’un mépris facile. Il y a le milieu, le juste milieu. Et, sous prétexte qu’on a exagéré ailleurs, ne croyons pas qu’il faille, chez nous, s’abstenir totalement. […]
D’autres conférences sont évoquées, notamment celles qui touchent à l’agriculture et à la fonction internationale du commerce.
N’est-ce pasune leçonque cet exposé rédigé par un négociant pour un auditoire d’universitaires ? Le commerce, ici, – on en a l’impression très nette, – est indiscuté: c’est un instrument puissant dont on doit apprendre à se servir, une source abondante de richesse, un agent nécessaire et précieux. Le discours de M. Frederik J. Koster est tout imprégné d’un esprit libéral. Rien du protectionnisme étroit qui, depuis le tarif Dingley, a dominé la politique économique des États-Unis. L’orateur conseille d’utiliser d’abord toutes les valeurs nationales, d’organiser les transports et de développer la marine marchande, d’obéir à une large doctrine de réciprocité d’où serait bannie ce qu’il appelle the stupidity of national boycotts. […]
D’autres conférences sont mentionnées, traitant de sujets divers et variés. Puis vient le récit du salut du drapeau, un empoignant spectacle
, une minute de vive émotion
quand le drapeau étoilé flotte au sommet d’un mât (p. 13). Après quoi Montpetit raconte son dîner chez M. et Madame Gayley, auquel participent des personnalités qui connaissent bien les Canadiens français et qui savent, au besoin, expliquer leur attitude
(p. 13).
Il faut, pour connaître vraiment la France, pénétrer dans la famille française. Ainsi des États-Unis. Nous avons touché àune délicieuse et loyaleintimité, au plus pur américanisme à la fois distingué, sobre et cultivé, issu des premiers temps de la colonie, nourri des saintes traditions de justice et de liberté. Nous comprenons que M. Gayley soit l’idole de ses élèves. Plusieurs fois, pendant ce court séjour, nous l’avons appelé, comme eux tous: our spiritual father. Nous n’oublierons pas ce dîner, qui fut aussi presque un adieu, où nous avons pu, à cœur ouvert, prendre la défense de notre race, sans craindre d’être mal compris, avec la certitude d’en être plus estimé. […]
C’est à l’inauguration du Gilman Hall, le 22 mars, et à la célébration du cinquantenaire (le Charter Day), le 23 mars, que Montpetit consacre la page suivante de son récit. Il y peint le défilé coloré des professeurs, arborant toges, bonnets ou bérets, et note que l’assistance compte cinq à six mille personnes.
Il fait unsoleil radieux.Et malgré soi, – car le cœur ne quitte jamais la Patrie, – on se prend à songer à la neige qui, à Montréal, achève peut-être de recommencer. Une prière s’élève, psalmodiée par un ministre et où il y a des mots pour le triomphe des armées de la République. Puis, le chœur des étudiants entonne une cantate dont les paroles sont du professeur Gayley, qui est à la fois historien, critique et poète, et qui est, d’ailleurs, un peu chez lui dans ce théâtre où, chaque semaine, il commente
les livres sur la guerre. Le président, d’une voix distincte, prononce une allocution où il résume, à grands traits, l’œuvre accomplie pendant les cinquante années qui s’achèvent à cette minute même. Et les délégués, – ils sont plus de cent, – accompagnés de leurs hôtes, sont présentés, à haute voix, aux gouverneurs et aux régents, pendant que la foule applaudit. La cérémonie se termine par un discours du président Harry Burns Hutchins, de l’Université du Michigan, où perce une belle émotion patriotique, et par la remise de titres universitaires. Le président Wheeler clôt la séance par un mot tout américain, qui invite au travail et à la confiance:le second cinquantenaire est commencé.À deux heures, l’inauguration de la Sather Tower est faite, au son des cloches, par le président Wheeler, M. Ivan M. Linforth, de l’Université de Californie, et M. John L. Reith, président de l’Association des Étudiants. Un peu plus tard, au Théâtre grec, MM. Charles Cestre et Gilbert Chinard font l’éloge du professeur Paget à qui une chaire curule est dédiée sur laquelle on a gravé, en témoignage de la fidélité américaine, cette inscription:À son ancien maître, un honnête homme d’autrefois par la science, l’honneur, la courtoisie, et un vaillant défenseur de sa Patrie, Félicien Victor Paget, professeur de littérature française, qui se donna à ses élèves tout entier et laissa à l’Université tous ses biens, ce siège est dédié par F.-A. Juilliard.Ce n’est pas là le seul dévouement français qui vive dans l’histoire de Berkeley. Un des vieux chênes volontaires ombrage le nom de John Leconte, qui fut président de l’Université, de 1875 à 1881. À quatre heures, les délégués sont reçus chez le président Wheeler et prennent officiellement congé.
***
On voudra voir dans lacélébrationde ce cinquantenaire, à laquelle toutes les grandes universités américaines ont apporté leur collaboration, plus encore qu’une simple manifestation intellectuelle: l’indice, la révélation d’un progrès sans cesse poursuivi dans une région éloignée, ce Far-West qui ne s’est pas débarrassé de toutes ses légendes, où, il n’y a pas si longtemps, la quête de l’or, sous sa forme la plus brutale, dominait tout. La civilisation qui se déplace, depuis les origines, vers le nord et vers l’ouest, atteint ici son point d’arrivée. Elle fut d’abord bruyante, hâtive, peut-être même hâbleuse. Il en reste encore beaucoup de choses dans les villes qui bordent le Pacifique, Los Angeles, San Francisco, Portland, Seattle, sinon même dans des cités plus anciennes et mieux assises comme Chicago et New-York, où l’on rencontre encore des personnes qui mastiquent avec le même entrain que d’autres mettraient à tricoter, où des artistes soi-disant lyriques trouvent le moyen de faire applaudir Il Trovatore joué sur une mesure de rag-time. Il n’empêche que jeune encore, et parfois presque enfant, cette civilisation s’est assagie, dématérialisée ; qu’elle s’est épurée. L’Université de Californie élevée près des montagnes où les aventuriers accouraient, au milieu du siècle dernier, est une réalité solide et un symbole. La pensée américaine existe. L’intelligence suscite des forces nouvelles. Cela, d’ailleurs, n’a rien d’étonnant. M. Charles Gide27, l’éminent économiste français, a montré comment l’homme rechercha d’abord la richesse pour ce qu’elle lui apportait de bien-être, comment il lui demanda uniquement de satisfaire ses besoins. Il convoita plus tard la puissance de l’or ; et il voulut acquérir la fortune pour s’en faire une arme et courber les autres à ses volontés28. Aujourd’hui, la richesse a des aspirations plus nobles. Elle a des devoirs. Le milliardaire américain donne des millions aux initiatives sociales et à l’enseignement. Les profits de l’usine, du commerce et de la finance retournent à la collectivité, fondent des œuvres de solidarité, rémunèrent l’artiste, libèrent le penseur. Que d’exemples on en pourrait citer ! Les gouvernements ont suivi. Partout s’affirme une préoccupation d’art et de beauté, une volonté d’enseigner non plus seulement les riches, mais les petits, les humbles, les foules. Partout s’élèvent des écoles, des collèges, des universités, des bibliothèques, des musées. Le règne de l’esprit s’annonce. C’est la
poussée idéaliste, qui se produit dans ce pays que l’on appelait, hier encore, et non sans un accent de dédaigneuse supériorité,le pays des dollars. Le peuple américain peut être naïf, sûr de lui-même, enfiévré ; il n’en reste pas moins qu’il est capable de très grandes choses et qu’il a déjà commencé de les accomplir. Ce serait se leurrer singulièrement que de se refuser à le reconnaître.[…]
Montpetit cite alors les mots du grand pacifiste
M. d’Estournelles de Constant, sur l’importance de l’instruction et de l’éducation (dans Les États-Unis d’Amérique, 1913, p. 297).
L’heure tragiqueest venue tout aussitôt ; et la Patrie a pu compter sur les énergies qu’elle s’était efforcée de créer. La guerre a posé la question de l’existence même de la Nation. On s’est demandé si la fusion était faite des éléments hétérogènes jetés sur le sol américain par l’ambition ou la misère ; si les hommes avaient acquis, avec un commencement de fortune, le sentiment national et secoué les liens de leurs origines au sein d’une patrie nouvelle qui se montrait clémente et généreuse. Cette interrogation, nous l’avons retrouvée, en première place, dans tous les journaux que l’on nous offrait aux gares de quelque importance, entre Chicago et New-York: à Cleveland, à Syracuse, à Détroit, à Albany. Les événements y ont répondu. L’effort américain a été étonnant d’unité ; car les dissentiments qui existaient n’ont pas rompu l’harmonie du plus grand nombre. Le peuple marche, et il importe que ce soit pour la France uniquement ou avec cet espoir, un peu gros, de terminer la guerre à lui seul, d’un grand coup: il marche. L’éclatant progrès économique des États-Unis n’eut pas, sans doute, assuré cette union. Au contraire, les intérêts divers eussent suscité des raisons d’abstention, sinon même des ferments de discorde. Il a fallu, à cette grande épreuve, apporter une pensée commune. L’école l’avait élaborée.
Si sérieuse qu’ait étél’organisation scolairedes États-Unis, en ces derniers temps, elle ne laisse pas d’être imparfaite. Là, comme ailleurs, on a dissocié l’éducation et l’instruction29. L’éducation qui a pour objet premier d’élever l’enfant, de lui donner la volonté et la force de faire le bien, a été abandonnée à la famille qui, souvent, ne pouvait pas appliquer des principes qu’elle n’avait pas reçus. Désormais, l’école américaine veillera à développer chez l’enfant l’initiative, le sens social, le sentiment de l’honneur, l’acceptation de la discipline ; elle lui fera prendre l’habitude des sacrifices nécessaires30. L’instruction ne tendra plus à former des spécialistes à outrance, non plus, d’ailleurs, que de purs savants sans culture générale31. Le spécialiste est un isolé ; le savant ne peut pas se vanter de se passer des autres, pas plus que le médecin du sociologue, que l’ingénieur de l’économiste. Le professeur de carrière verra sa lourde tâche allégée. Rivé à l’enseignement depuis le matin jusqu’au soir, il est forcé de négliger le travail d’invention et de réflexion. Il n’ajoute rien au patrimoine qu’il a péniblement acquis pour les autres. Il doit vivre. Tout en le retenant à l’université, où ses leçons prendront plus de valeur et d’intérêt, les autorités, grâce à des fondations, tâcheront de lui procurer le loisir de l’effort personnel, le moyen de poursuivre la recherche scientifique qui, seule, développera le capital intellectuel de la nation.
Plus que jamais la science sera active. Combien d’auteurs ne pourrions-nous pas mentionner, qui prêchent ardemment l’organisation scientifique et l’utilisation méthodique des forces, de toutes les forces d’un pays ? Ces idées sont à la mode. Nous y rendrons-nous, quelque jour ? Retenons, parmi tant d’autres, l’opinion d’un Japonais, que cite M. Édouard Herriot32:
Nous combattrons par la science ; mais nous ne perdrons pas de vue le côté spirituel de l’action: l’esprit et la matière doivent être harmonieusement liés dans toute nation qui voudra désormais avoir une action sur le monde.C’est la devise des Semaines Sociales de France: De la Science à l’Action. Certes, on peut rappeler que la science a fait des promesses que le caractère même de ses avancés lui interdisait de tenir. On peut encore accabler la science pour ce qu’elle a ajouté de cruautés aux œuvres de destruction que la guerre accumule. Il s’agit ici de la science productrice, mise au service de l’usine, pacifique et féconde. Encore une fois, les États-Unis ont donné au monde entier un retentissant exemple. On parle de l’Allemagne économique ! Serait-il si difficile de montrer que l’Allemagne s’est inspirée des États-Unis ? Par exemple, que List, qui a formulé la célèbre théorie de la politique nationale, connaissait les doctrines des protectionnistes américains ? Ou, dans un autre domaine, que les industriels allemands n’ont fait qu’appliquer les méthodes américaines et, notamment, le taylorisme et la fabrication en série33? La science se traduira par des activités pratiques ; l’action sera l’application des principes scientifiques. Voilà l’avenir, le seul que l’on puisse espérer vivre et durer.C’est fort bien. Cependant, ne pouvons-nous pas demander à la science d’étendre ses recherches au-delà des frontières ? La science, comme on l’a dit à Berkeley, n’a-t-elle pas une fonction internationale ? Et, pour restreindre le sujet à ce seul point, ne doit-on pas se préoccuper, au premier chef, de connaître les autres pays, d’approcher les autres peuples, avec le même esprit qu’elle met à trouver une combinaison nouvelle, à suivre une réaction chimique, à trancher un problème économique ? Ne peut-on exiger des professeurs qui s’intéressent aux questions politiques, aux phénomènes ethniques, aux données de l’histoire, d’appliquer rigoureusement leurs méthodes scientifiques et de faire connaître, pour le plus grand bien de tous, les résultats de leurs recherches à ceux qui n’auraient eu jusque-là pour guide que des propos fantaisistes, puérils, sinon même iniques et calomnieux ? Et, pour y atteindre plus sûrement, ne gagnerions-nous pas à échanger nos professeurs avec ceux des universités étrangères, comme ont fait déjà les États-Unis avec succès ? Car on nous connaît mal. Disons mieux: on ne nous connaît pas. Au University Club de San Francisco, ne nous a-t-on pas présenté comme professeur au Naval Institute of Montreal. Corriger d’une lettre fut l’affaire d’une minute et d’une rougeur au front ; mais le mot lui-même ne perdait rien de sa saveur. Lesdénigrementsdont on nous a couverts ont fait leur triste chemin ; moins cependant au sud et à l’ouest qu’à l’est où on nous méconnaît absolument. Nous avons même, à Berkeley, rencontré beaucoup de sympathie pour les nôtres. Ces professeurs, qui y revenaient avec un persistant intérêt, se plaisaient à analyser notre situation, à étudier nos difficultés. Plusieurs nous ont compris et encouragés. Rien ne vaut ces conversations où les esprits se rapprochent. C’est une des formes que peut revêtir notre défense. Pour une ou deux attaques de la part de personnes qui avaient habité un coin reculé de notre pays – Halifax ou Vancouver – et qui se croyaient, à cause de cela, parfaitement au courant de notre histoire et de nos résistances, que d’approbations n’avons-nous pas recueillies ?
Ces gens, disait quelqu’un, parlant des Canadiens français, sont d’aussi vieux Américains que nous-mêmes, mind you.Voilà un titre de noblesse. Nous en avons d’autres. Faisons voir à nos voisins que leurs progrès ne nous effraient pas ; mais que nous gardons, au sein d’une fortune plus modeste, de saines et belles traditions françaises ; que notre langue est riche encore et non pas abâtardie ; que nos mœurs ont de la simplicité et ne manquent pas d’une certaine distinction ; que nous conservons, au point de vue social, des forces qu’ils ont pu mépriser et vers lesquelles, aujourd’hui, les plus grands d’entre eux tournent leur sollicitude.Édouard Montpetit,
Professeur à l’Université Laval.
Notes
- Il existe une biographie classique de Montpetit, très érudite, mais dont le style peut paraître daté (Joubert, 1975). Par ailleurs, on s’est penché, entre autres aspects de sa personnalité, sur le penseur social (Southam, 1978), sur l’universitaire (Fournier, 1982) et sur l’idéologue (Sing, 1995).
- Montpetit mena une enquête sur les influences étrangères dans le système éducatif québécois : elle fut d’abord publiée sous forme d’article,
L’enseignement supérieur est-il américanisé ?
(Montpetit, 1940), puis reprise dans son ouvrage Reflets d’Amérique (Montpetit, 1941 : 143-221). - Le Nigog est une revue littéraire et artistique fondée par l’architecte Fernand Préfontaine, l’écrivain Robert de Roquebrune et le compositeur Léo-Pol Morin. Si la présence de Montpetit parmi les collaborateurs de cette revue d’avant-garde peut surprendre, elle n’en constitue pas moins un indicateur précieux de la place que ce dernier occupe dans l’espace culturel montréalais.
- Fils de Lomer Gouin, premier ministre du Québec entre 1905 et 1920, Léon-Mercier Gouin (1891-1983) fut vice-doyen de la Faculté de droit de l’Université de Montréal en 1949, tout en étant sénateur de 1940 à 1976.
- Professeur aux Hautes Études commerciales et secrétaire de la Faculté des lettres de l’Université de Montréal, Jean Désy (1893-1960) fut aussi titulaire d’une chaire de science et d’histoire politique. Premier haut fonctionnaire francophone de l’administration centrale du ministère des Affaires extérieures, il débuta comme conseiller juridique à Ottawa. Diplomate de haut rang, il fut premier conseiller de la légation du Canada en France en 1928, puis ministre plénipotentiaire en Belgique et aux Pays-Bas en 1939, avant d’être nommé ambassadeur du Canada en France dans l’après-guerre. Par la suite, il intégra le secteur de la communication en tant que directeur du service international de Radio-Canada.
- Diplômé des Hautes Études commerciales (1922) et premier Canadien français à diriger ce prestigieux établissement, Esdras Minville (1896-1975) fut également doyen de la Faculté des sciences sociales et président de la Chambre de commerce de Montréal.
- François Vézina (1896-1982) a détenu la chaire d’histoire des doctrines économiques de l’Université de Montréal.
- Neveu de Mgr Paul Bruchési, archevêque de Montréal et chancelier de son université, Jean Bruchési (1901-1979) y fut nommé à la chaire de science et d’histoire politique. Sous-secrétaire d’État et sous-registraire de la province de Québec de mai 1937 à mai 1959, il termina sa carrière comme ambassadeur du Canada dans divers pays.
- Professeur de sciences économiques, directeur de L’Actualité économique (1938-1948) et de L’Action nationale (1959-1968), François-Albert Angers (1909-2003) a évoqué avec respect le rôle pionnier de Montpetit dans le développement des sciences économiques au Québec (Angers, 1961).
[…] pour que nous soyons, dans une civilisation qui en partie n’est pas la nôtre, des égaux que l’on respecte et chez qui l’on est forcé de reconnaître des qualités de race et d’intelligence victorieuse : préparons-nous, dans le culte de la supériorité
(Montpetit, 1917 : 7).- La formulation adopte ici l’évolution de la terminologie en vigueur. En 1918, Montpetit pouvait évoquer la notion de race sans faire scandale :
Nous n’oublions pas ce dîner, qui fut presque un adieu, où nous avons pu, à coeur ouvert, prendre la défense de notre race
(1918 : 14). - D’autres patronymes français à l’honneur à Berkeley sont cités tout au long de l’article : A.-J. Brodeur, médecin et Canadien français d’origine, professeur à Berkeley (Montpetit, 1918 : 10), O.-G. Villard, directeur de la revue The Nation (1918 : 11), Félicien Victor Paget, F.-A. Juilliard, John Leconte (1918 : 16), etc.
Le char à l’étoile
(Montpetit, 1949 : 150-156).- Né à Yamachiche, dans le comté de Maskinongé, en Mauricie, Aram-Jules Pothier (1854-1928) fut gouverneur républicain du Rhode Island de 1909 à 1915 et de 1925 à 1928. Il est le premier Canadien français à occuper ce poste dans un État américain, alors que le Rhode Island est très majoritairement anglo-protestant : son attitude à l’égard de la diaspora canadienne-française prête néanmoins à discussion (Pâquet, 2000).
- Pour conserver l’aide financière et l’appui moral de la province à l’Institut scientifique franco-canadien (ISFC), Montpetit rédige un rapport (1937) duquel cette citation est extraite. Il y défend l’oeuvre accomplie, contre les attaques du frère Marie-Victorin (Conrad Kirouac), lequel oppose le sérieux scientifique de l’Association canadienne-française pour l’avancement des sciences (ACFAS) aux mondanités stériles de l’ISFC. Montpetit évoque la mémoire de son fondateur d’origine française et professeur de biologie à l’Université de Montréal, Louis-Janvier Dalbis (1881-1937), présenté comme
l’âme
de l’Institut. - Avec quelques modifications légères, qui tiennent notamment aux temps de conjugaison, ce texte est repris sous un titre plus poétique –
La porte d’or
– dans Édouard Montpetit, Souvenirs, vol. II, Vous avez la parole, Montréal, Les Éditions de l’Arbre, 1949, p. 185-212. Nous avons choisi de retranscrire des extraits du texte initial paru en mai 1918 dans la Revue trimestrielle canadienne. - Note d’Édouard Montpetit (de même que pour toutes les notes suivantes, hormis la note 24). University of California Register, 1915-1916. General Statement : History.
- Les États-Unis d’Amérique.
- Deux mois en Amérique du Nord.
- Maurice Caullery : Les universités et la vie scientifique aux États-Unis, p. 38.
- University of California Register. – General Statement : History, p. 47.
- University of California : Annual Report of the President of the University, p. 287.
- Qualité à acquérir, l’Opinion du 10 novembre 1917.
- Note de Gérard Fabre. Dans
La porte d’or
(titre de chapitre du volume 2 des Souvenirs : 193), Montpetit est encore plus explicite :Je me faisais ces réflexions en admirant l’Université de Californie, son décor, son installation, son oeuvre, et je pensais que nous ferions bien de nous corriger de cette tendance que signalait chez les Français M. de Launay, et qui nous porte à mépriser la richesse des autres.
- Annual Report of the President of the University, p. 32.
- Shakespeare and the Founders of Liberty in America, p. 113 et 202. Macmillan, New-York, 1917.
- Le matérialisme et l’économie politique. Cette conférence a été publiée dans un volume de la Bibliothèque de philosophie scientifique intitulé Le Matérialisme actuel.
- Jean Labadié : Richesse-puissance et richesse-jouissance, l’Opinion du 10 juin 1916.
- Ferdinand Brunetière : Éducation et Instruction.
- Annals of American Academy of Political and Social Science, livraison de septembre 1916 : New Possibilities in Education.
- Max Leclerc : La Formation des Ingénieurs, à l’étranger et en France.
- Vouloir – La plus grande France.
- Victor Cambon : France–États-Unis.
BIBLIOGRAPHIE
Sources
- Montpetit, Édouard (1917).
Vers la supériorité
. L’Action française, n° 1, p. 1-7. - Montpetit, Édouard.
Six jours à Berkeley
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- Fonds Édouard Montpetit, Division des Archives de l’Université de Montréal, P8 (une partie des éléments biographiques développés dans la notice sont tirés de ce fonds).
- Fonds de l’Institut scientifique franco-canadien, Division des Archives de l’Université de Montréal, P12.
- Rapport d’Édouard Montpetit, 9 février 1938, Fonds de l’Institut scientifique franco-canadien, Division des Archives de l’Université de Montréal, P12/E18, 10 f.
Études
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Tous droits réservés. Centre interuniversitaire d’études québécoises (CIEQ)
Dépôt légal (Québec et Canada), 1er trimestre 2021.
ISBN 978-2-921926-86-7 (PDF) – 978-2-921926-87-4 (HTML)
Crédits
- RÉVISION LINGUISTIQUE – Solange Deschênes
- Conception graphique – Émilie Lapierre Pintal en collaboration avec Marie-Claude Rouleau (Élan création)
- Coordination – Sophie Marineau
- Programmation – Tomy Grenier, Adam Lemire et Jean-François Hardy
Comment citer cette publication
Fabre, Gérard (2021). «Édouard Montpetit en Californie (1918)» dans Gérard Fabre et Yves Frenette (dir.), Les récits de voyage et de migration comme modes de connaissance ethnographique: Canada, États-Unis, Europe (XIXe-XXe siècles). Québec: Les Presses de l'Université Laval (coll. «Atlas historique du Québec - La francophonie nord-américaine»). [En ligne]: https://atlas.cieq.ca/la-francophonie-nord-americaine/interactif/edouard-montpetit-en-californie-1918.html (consulté le 21 novembre 2024).