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Olivier Robitaille, récit d’un voyage d’études aux États-Unis en 1837-1838

Par Gilles Gallichan historien, bibliothécaire retraité de l’Assemblée nationale du Québec
Ce texte fait partie de l’anthologie Les récits de voyage et de migration comme modes de connaissance ethnographique

Le centre de Bibliothèque et Archives nationales du Québec de la capitale conserve un document dactylographié de 500 pages qui constitue les mémoires d’Olivier Robitaille (1882). Né en 1811 et décédé en 1896, Robitaille fut médecin, maire de Québec en 1856-1857, philanthrope, patriote puis homme d’affaires. Écrits en 1882 à partir de notes et d’impressions «jetées sur des feuilles volantes» au cours de sa vie, ses mémoires n’ont aucune prétention littéraire. Ils ne sont pas destinés au grand public, avoue-t-il lui-même, mais à ses enfants.

Les souvenirs de Robitaille sont néanmoins remarquables à plusieurs titres. Ils nous éclairent notamment sur l’histoire municipale, sur l’organisation de la santé publique à Québec et sur le fléau des grandes épidémies qui ont marqué le XIXe siècle, ainsi que sur les nombreux incendies qui ont ravagé des quartiers de la ville à cette époque. Mais, dans cet itinéraire de vie, le récit de ses dix mois d’études médicales aux États-Unis est particulièrement intéressant. Robitaille a passé l’année 1837-1838 à Boston et à Brunswick pour compléter ses études supérieures en médecine au moment où le Bas-Canada traversait la plus grave crise politique de son histoire. Pendant ce séjour, il a tenu un journal qu’il intègre à ses mémoires, ce qui explique les précisions et les détails de ce voyage près d’un demi-siècle plus tard. Il y a noté, écrit-il, «mot à mot [ce] que j’ai fait pendant mes dix mois d’absence» ( Robitaille, 1882: 28 P232P1_031 )1 Nous corrigeons les coquilles et fautes d’orthographe des passages cités. .

Figure 1Détail de la page titre du tapuscrit des Mémoires d’Olivier Robitaille, 1882Bibliothèque et Archives nationales du Québec (BANQ-QC), P232
Figure 2Olivier Robitaille vers 1890J.E. Livernois. Bibliothèque et Archives nationales du Québec (BANQ-QC), P560,S2,D1,P1130

Ses années de formation

Olivier Robitaille est né à Québec, dans le faubourg Saint-Jean, en 1811. Son père était un artisan relativement aisé. Après ses premières classes, il entre au Séminaire en 1823. Il est encore aux études lorsque survient la grande épidémie de choléra qui frappe le Bas-Canada en 1832. Le pénible souvenir de ce drame collectif a pu orienter son choix professionnel vers la santé publique. Il devient apprenti médecin auprès du docteur Joseph Morrin (1792-1861) qui sera son mentor et parrainera sa carrière. Les besoins sont grands dans le secteur de la santé et les années 1830 paient un lourd tribut de victimes aux maladies infectieuses. Robitaille apprend son métier à la dure, il travaille à l’Hôpital de la Marine et, en 1836, il doit prendre le relais du docteur George Mellis Douglas, tombé malade, à la station de la quarantaine de la Grosse Île où l’on accueillait les immigrants. Robitaille tombe lui-même malade d’une fièvre typhoïde qui l’immobilise pendant plusieurs semaines.

À l’automne 1837, encouragé par le Dr Morrin 2Morrin le pousse à se rendre à Boston et lui trouve l’argent nécessaire pour faire ce voyage. , il part pour Boston parachever sa formation en médecine avec son ami Joseph Marmette3Parfois orthographié Marmet. À ne pas confondre avec le romancier et essayiste du même nom, né à Montmagny en 1844.. À cette époque, Robitaille devait avoir manifesté son soutien au mouvement patriote dans la capitale. Le Bas-Canada étant alors plongé en pleine crise politique, il est possible, selon l’historien Jacques Bernier, que les événements politiques aient contribué au départ rapide de Robitaille pour lui éviter des ennuis avec les autorités coloniales (Bernier, 2003). Son journal dévoile par quelques lignes son idéologie patriote et son engagement politique. Sa grande inquiétude au moment des insurrections peut laisser croire que sa participation au mouvement patriote était bien connue. Au-delà de l’intérêt politique des souvenirs de Robitaille, la chronique de son voyage et de son séjour étatsunien est aussi riche d’enseignements sur les moyens de transport et sur la vie sociale de l’époque.

Son voyage - 1837

Après ses années d’internat, Robitaille connaît bien la pratique concrète de la médecine, mais il maîtrise moins la théorie et les détails de l’anatomie humaine: c’est cette formation complémentaire qu’il va chercher aux États-Unis avec son compagnon Joseph Marmette.

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De Québec à Montréal

Il quitte Québec pour Boston un triste jour d’automne, le 21 octobre 18374Le journal mentionne par erreur la date du 31 octobre. Il s’agit plutôt du 21 étant donné qu’il arrivera à Boston le 30 octobre., à bord du vapeur le John-Bull de la flotte de John Molson fils. Il ressent intensément l’émotion «du jeune homme qui n’a jamais perdu de vue le clocher de sa paroisse» ( Robitaille, 1882: 28 P232P1_031). Le navire fait escale à Trois-Rivières et à Sorel, qu’il visite sommairement et qu’il trouve peu intéressante. Une ville de passage et de garnison où l’alcoolisme fait des ravages, lui semble-t-il ( Robitaille, 1882: 30 P232P1_033). À bord du navire, les repas sont copieux et arrosés de bons vins. Le temps d’un cigare sur le pont et la cloche sonne un nouveau service. Il arrive à Montréal à la nuit tombée et va se loger chez des amis. Le lendemain, il se rend admirer la nouvelle église Notre-Dame, celle des sœurs de la Congrégation et le canal de Lachine qui permet aux petits navires de contourner les rapides du Saint-Laurent ( Robitaille, 1882: 31 P232P1_034). Une pointe de rivalité Québec-Montréal transparaît dans la comparaison qu’il fait entre la métropole et la capitale et il accuse les députés de Montréal de favoriser leur ville au détriment de Québec. Il profite d’un concert privé chez Mr Glackmeyer5Louis-Édouard Glackmeyer (1793-1881), notaire et flûtiste, a joué avec les premiers groupes de musiciens qui se sont formés à Québec, dont la Société harmonique de Québec et le Septuor Haydn. Voir Lallmann, Potvin et Winters, 1983: 404., où il est invité à une soirée mondaine et, le lendemain, il ne manque pas de visiter l’hôpital et la nouvelle prison dont il laisse une courte description ( Robitaille, 1882: 32-33 P232P1_035). Les détenus qu’il y rencontre ne cachent pas leur soutien à Papineau et aux idées républicaines. La ville gronde déjà des affrontements prochains. Il se rend à une assemblée de bureaucrates où il croise le journaliste Leblanc de Marconnay, «un Français payé pour dire dans son journal6Le Populaire, paru d’avril 1837 à novembre 1838. autant d’injures possibles contre nos défenseurs qui luttaient avec énergie pour obtenir justice que refusait une oligarchie qui occupait toutes les situations lucratives». La conversation fait comprendre à son interlocuteur «quelle était ma pensée et de quel parti j’étais» ( Robitaille, 1882: 34 P232P1_037). C’est une des quelques allusions directes de Robitaille à son engagement politique au moment des insurrections.

Figure 3Vue de Montréal depuis le canal de Lachine, 1839 (détail)James Duncan. Bibliothèque et Archives Canada, no d’acc R9266-178

De Montréal à Saint-Jean-sur-Richelieu

Il quitte Montréal à bord du vapeur Princess Victoria pour traverser à La Prairie où il prend le train pour Saint-Jean-sur-Richelieu. Il s’agit de la première ligne de chemin de fer au Bas-Canada, inaugurée l’année précédente. Cette nouvelle expérience de voyage est alors assez inédite pour qu’il y consacre quelques lignes:

[…] le tender7Le wagon annexe transportait le carburant de la locomotive. et le locomotif qui traîne à sa suite 3, 4, 5 chars et quelquefois plus, où les voyageurs prennent passage. Le moment du départ arrivé, le thunder que la vapeur doit mettre en mouvement, monté sur des roues en fer, justement adaptées sur les lisses aussi en fer, se meut. Le mouvement augmente progressivement jusqu’à un tel point qu’il est impossible de compter de suite cinq ou six pagées de clôture. Mollement assis sur des sièges, on peut écrire, lire ou dormir très commodément. Ce fut ainsi qu’on fit le trajet de quinze milles824 kilomètres. Le train roulait donc à une vitesse de 30 km à l’heure. en 45 minutes ( Robitaille, 1882: 34 P232P1_037).
Figure 4Billets de quinze sous du Champlain and St. Lawrence Railroad, 1837© Musée McCord, M13637

Sur le Richelieu et le lac Champlain

À partir de Saint-Jean-sur-Richelieu, le haut Richelieu et le lac Champlain sont navigables. Robitaille et son compagnon y prennent un autre vapeur, le Wimouski, un bateau à fond plat qui remonte vers le lac Champlain, passant à Plattsburgh et à Burlington jusqu’à Whitehall à l’extrémité sud du lac. Robitaille trouve ce voyage de 18 heures plutôt cher (5 piastres), sa cabine peu confortable et les repas bien maigres. De Whitehall à Troy, le voyage se fait sur des péniches (pockets) qui circulent sur le canal Champlain, lequel relie le lac au bassin de l’Hudson. Le voyage, assez monotone en raison des nombreux passages d’écluses, dure un jour et une nuit. On trompe l’ennui en mangeant des pommes, en jouant aux dames avec des militaires yankees et en tentant de tirer le meilleur profit des services offerts:

On prit deux repas à bord du pocket. Toute personne qui a voyagé dans ces petites embarcations doit être surprise de voir quel moyen on prend pour placer dans cette étroite chambre, une longue table pour donner à manger aux passagers, assez souvent très nombreux. Ici, celui qui voudrait être poli ou bien se mettre à la gêne aurait petite pitance. Il faut manger vite en ayant soin de mettre dans son assiette les mets qui paraissent les plus succulents, sans cette précaution, le plat qui est vis-à-vis de nous disparaît pour ne plus revenir. Un gourmand nous l’enlève sans considération pour les personnes du sexe. Le voyageur prend le plus tôt possible un siège et ne veut pas se déranger. […] L’heure de dormir approche, l’on se demande quel moyen l’on va prendre pour donner des lits à 30 ou 40 passagers. La chose nous paraît presque impossible. Le pocket Niagara peut avoir 30 quelques pieds de long sur huit de large. De chaque côté, avec des cordes, on suspend trois lits l’un au-dessus de l’autre. Il va sans dire que ces lits ne sont ni larges ni longs, cependant on y trouve le moyen de dormir ( Robitaille, 1882: 37 P232P1_040).
Figure 5La ville de Troy, 1838William James Bennett. Library of Congress, Prints and Photographs Division Washington, LC-DIG-pga-00207

De Troy et Albany à New York

En 1837, Troy est une ville de 16 000 habitants que Robitaille trouve charmante et prospère. Il monte à bord d’un omnibus qui le conduit à Albany, sur l’Hudson, à 15 km. Il visite la capitale de l’État de New York, son Museum et son State House, «le plus bel édifice d’Albany» ( Robitaille, 1882: 39 P232P1_042). Après cette escale, Robitaille et Marmette reprennent un vapeur qui descend le fleuve jusqu’à New York. Le North America est long de 280 pieds (85 mètres) et accueille 800 passagers et le trajet dure 18 heures. De nouveau, il faut disputer sa place aux repas et les deux voyageurs canadiens héritent d’une mauvaise cabine juste au-dessus des machines.

Il passe quatre jours à New York, d’abord à l’hôtel du Pacifique, puis dans une modeste pension française où sa chambre avait «l’apparence d’une cellule qu’occupaient ces austères anachorètes des temps passés» ( Robitaille, 1882: 41 P232P1_044). Marmette et lui retrouvent les fils Glackemeyer et Vanfelson9Probablement Antoine-André Vanfelson (1815-1860), fils du juge Georges Vanfelson., travaillant comme commis dans des magasins de la ville et qui les assaillent de questions sur la situation politique au Canada. En retour, les deux jeunes hommes leur servent de cicérones dans la grande ville.

Figure 6Affiche annoncant deux trajets d’omnibus express reliant Albany à Whitehall en 1831Splendid Red Coaches. Unidentified artist, 1834, Letterpress with wood engraving on paper. Albany Institute of History & Art Library, PB 266, DI 553

Il découvre en trop peu de jours l’éblouissement de cette grande cité qui compte à l’époque 200 000 habitants. Du sommet de l’hôtel Holt, haut de sept étages, on peut aller admirer le panorama de la ville. Il parcourt Broadway et de grands magasins, offrant des vitrines larges de deux mètres et hautes de trois. C’est déjà l’Amérique du luxe et de la consommation:

En dedans, les comptoirs étaient en acajou, les tablettes chargées de marchandises les plus riches; dans les vitrines on apercevait les objets les plus précieux. Il y a pendant tout le jour un va-et-vient de piétons et des carrosses dans lesquels les dames américaines, élégamment habillées, se prélassent. L’œil est étonné de voir par une belle journée d’automne la multitude de personnes qui passent et repassent sur les larges trottoirs de cette large rue ( Robitaille, 1882: 42 P232P1_045).

Il en profite pour aller au théâtre voir un mélodrame, visiter des musées, des expositions agricoles, faire des excursions et admirer le chic hôtel Astor et les transatlantiques dans le port ( Robitaille, 1882: 46-47 P232P1_049).

De New York à Providence

L’étape suivante conduit les étudiants québécois de New York à Providence, via Newport, à bord d’un autre vapeur, le President. Cette fois, c’est l’Atlantique et le roulis impose son lot de malaises. Marmette paie comme bien d’autres son tribut à Neptune. Lorsque la mer se calme, les heures de repas redeviennent l’occasion de bousculades. Robitaille développe ses impressions peu flatteuses sur les Américains en voyage:

Si j’avais à décrire le caractère du peuple américain quand il voyage, la description que j’en ferais ne serait pas à sa louange ; sans considération pour l’étranger et pour l’homme de mérite, sans politesse pour le beau sexe, peu communicatif, lent dans ses réponses, souvent n’en donnant pas, le chapeau toujours sur la tête, ne sachant où le mettre quand il faut l’ôter, ce qui arrive rarement, le voyageur américain n’est certainement pas aimable. Ce que je viens de décrire n’est qu’une faible esquisse de ce que j’ai vu sur les bateaux à vapeur. Plus tard, introduit au sein de leur famille, j’ai eu le grand plaisir de mieux les connaître et je le présenterai sous une meilleure couleur. On dirait que ce sont deux peuples différents, tant le contraste est grand quand on voyage avec celui où on lui rend visite ( Robitaille, 1882: 49 P232P1_052).

De Providence à Boston

De Providence à Boston, c’est en chemin de fer que les voyageurs franchissent les 40 milles (65 km) qui séparent les deux villes. Ils arrivent enfin à Boston le lundi 30 octobre en après-midi. Le trajet de Québec à Boston aura donc été de près de dix jours en bateau, en train et en omnibus.

Aussitôt débarqués, munis d’une lettre de recommandation du supérieur du Séminaire de Québec, le révérend Antoine Parent, ils se rendent chez l’évêque catholique, Mgr Benedict Joseph Fenwick (1782-1849), qui les accueille chaleureusement et leur trouve une honnête pension à Boston. Elle est tenue par Ph. Murphy et son épouse qui offrent le gîte et la table pour quatre dollars par semaine. Le chauffage de leur chambre – et le bois est fort cher à Boston – est cependant à leur charge ( Robitaille, 1882: 69 P232P1_072). Les étudiants de Québec y croisent de nombreux colocataires de tous horizons ( Robitaille, 1882: 70-71 P232P1_073). À la veille de faire leur entrée dans le monde, Robitaille et son ami sentent le mal du pays: «Nous avions peine à croire que nous étions si éloignés de notre cher Québec, souvent les mots patrie, parents, amis furent prononcés» ( Robitaille, 1882: 50 P232P1_053).

Figure 7Vue de la ville de Boston vers 1841Robert Havell. Library of Congress, Prints and Photographs Division Washington, LC-DIG-pga-03789

La rentrée se fait le 1er novembre à Harvard et les étudiants québécois se présentent à leurs professeurs, les Drs Joshua Hayward10Parfois orthographié Howard dans le document. Il s’agit du Dr Joshua Henshaw Hayward (1797-1856), éminent professeur de médecine de l’Université Harvard., Walter Channing, Ed. Reynolds, Jacob Bigelow et John Ware11À la fin de son trimestre, avant de quitter Boston, Robitaille détaille la liste de ses professeurs, il commente leurs personnalités et leurs cours (1882: 90-91).. Leur statut d’étudiants étrangers arrivant du Bas-Canada attire sur eux un intérêt amical qui leur vaut d’être aussitôt invités à des soirées musicales et mondaines. Ils apprennent l’étiquette et le savoir-vivre de la bonne société, dont le souci de mettre leurs plus beaux habits et de porter des gants blancs12Sur la vie sociale et professionnelle ainsi que sur les codes de civilité et de politesse dans la Nouvelle-Angleterre au milieu du XIXe siècle, on peut consulter Hansen (1994), Riznik (1964), Beckert et Rosenbaum (2010), Kelly (1999).. Ils sont vite conscients de la curiosité qu’ils suscitent chez leurs hôtes et qui leur vaut plusieurs invitations dans la bonne société. On veut «voir des jeunes Canadiens, habitant un pays froid, et qui auraient un peu le caractère des ours» ( Robitaille, 1882: 52 P232P1_055). Quelques jours plus tard, deux autres étudiants de Québec les rejoignent pour suivre les cours de médecine: Chaperon et Guay.

L’écho des insurrections

Le jour, les étudiants assistent à des conférences magistrales suivies de visites aux malades à l’hôpital13Au moment de son départ de la ville en février 1838, Robitaille donne une description détaillée de l’ancien Hôpital de Boston, près de la rivière Charles, et des leçons pratiques qu’il y a reçues (1882: 87-90).. Le soir, ils révisent la matière apprise si une invitation ou une sortie ne vient pas ponctuer la semaine. À la fin de novembre, Robitaille et Marmette sont invités à un copieux souper chez l’écrivain Henry W. Longfellow (1807-1882), futur auteur du célèbre poème Évangéline (1847) qui deviendra à la fin du XIXe siècle un récit mythique de l’épopée acadienne (Thériault, 2013). Longfellow, alors professeur à Harvard, impressionne Robitaille par sa culture: c’est un homme remarquable, dit-il, qui a voyagé en Europe et qui maîtrise plusieurs langues14Longfellow gardera contact avec Robitaille au cours de son séjour à Boston. Il lui rendra même visite à sa pension en janvier 1838 ( Robitaille, 1882: 79 P232P1_082). . Pendant la soirée, on accueille un invité portant le nom d’Appleton, arrivant tout droit du Bas-Canada. Ce dernier leur apprend les dernières nouvelles des soulèvements et ne cache pas son admiration pour Augustin-Norbert Morin et pour Louis-Joseph Papineau, «un homme capable de mener à bonne fin une révolution» et qui est alors «dans un lieu retiré pour fuir la persécution de nos ennemis et [les] cachots» ( Robitaille, 1882: 53 P232P1_056).

Figure 8Henry W. Longfellow, vers la fin du XIXe siècleBibliothèque et Archives Canada, no d’inventaire: 1048

Le jeune étudiant est bouleversé par ces nouvelles. Il note dans son journal l’émotion qui l’étreint:

Oh! Ma patrie, au moment où j’écris ces lignes que mon cœur éprouve d’angoisse, éloigné de toi de plusieurs cent milles. Dans la continuelle attente de recevoir des nouvelles de ma famille qui ne répond pas à ma dernière lettre demandant instamment de m’écrire. Je suis dans les plus grandes inquiétudes. Je crois avoir une multitude de maux fondre sur moi, des emprisonnements, d’une loi martiale, des juges préjugés, du sang. Ah! Quelles pensées amères. J’avais bien cela à la mémoire les belles paroles de Mr Appleton sur les moyens à prendre pour réussir une révolution. Je vois maintenant qu’il est plus facile de faire une révolution en prenant du vin et en fumant le cigare que de soulever un peuple sans avoir l’argent nécessaire pour lui donner les moyens de se défendre.
La chambre où Mr Appleton parlait était mémorable, en ce qu’elle rappelle la mémoire d’un grand et illustre citoyen américain qui, 62 ans passés, occupait le même appartement15Selon les explications données par Robitaille, ils se trouvaient dans la maison même où Washington avait préparé son plan pour la bataille de Bunker Hill le 17 juin 1775.. Le général Washington cherchait, calculait et prenait les moyens d’affranchir sa patrie du joug de l’oppression que la mère patrie voulait lui imposer. Que de sérieuses pensées ont dû traverser le cerveau de Washington dans un moment si critique. Dans la même chambre où nous causions, mangions et buvions de si bon cœur ( Robitaille, 1882: 53-54 P232P1_056).

La conversation de cette inoubliable soirée s’étire tard dans la nuit. Appleton porte une santé à l’indépendance des États-Unis et une autre proposée à celle du Canada. On discute même d’une éventuelle entrée du nouvel État dans la fédération américaine, ce qui ne sourit guère à Robitaille. Appleton le rassure, s’il y a migration, dit-il, elle se fera du nord au sud et non le contraire, et ce sont les capitaux américains qui développeront le pays grâce au grand potentiel des «pouvoirs d’eau», c’est-à-dire l’énergie mécanique des rivières.

Les jours suivants sont marqués par l’inquiétude et la rupture des communications postales. La dernière lettre de sa famille remonte au 1er novembre. Robitaille assiège les cabinets de lecture pour y lire les dernières gazettes. Celles de Boston écrivent que la révolution est en marche au Bas-Canada ( Robitaille, 1882: 55 P232P1_058). De noirs pressentiments envahissent alors ses pensées. Lorsque Robitaille et Marmette rendent de nouveau visite à l’évêque Fenwick, ce dernier leur sert une funeste analyse sur l’issue de cette rébellion, aggravant leur chagrin et leur inquiétude:

Je ne pensais qu’à ma pauvre patrie. Je ne voyais aucune chance de succès dans la lutte si inégale en force où se trouvaient mes concitoyens. Je pouvais à peine croire que Papineau aurait pu soulever un si grand nombre de paysans, eux si tranquilles, si heureux dans leur demeure, si religieux et si dociles à la voix de leurs pasteurs. Quel changement en si peu de temps! Il est donc bien magique ce mot de liberté!!! ( Robitaille, 1882: 56 P232P1_059).

Cette année-là, la fête de l’Action de grâce américaine tombe le 30 novembre. Robitaille et Marmette sont invités à se joindre à la famille du professeur Hayward et à ses amis. Les demoiselles, la musique, la danse et les bons vins font un moment oublier les lourds nuages qui s’accumulent sur la patrie. Le lendemain, des placards affichés dans la ville annoncent la victoire patriote à Saint-Denis. Robitaille, aux premières loges de l’événement, observe les réactions et les conversations:

Le premier jour de décembre nous annonce une victoire remportée par les Canadiens sur les troupes anglaises. Plus de 450 soldats avaient été tués, blessés ou prisonniers, sans coûter beaucoup de sang du côté des Canadiens. Nous sortions de la chambre des nouvelles16Il s’agit du cabinet de lecture., quand nous vîmes beaucoup de monde qui lisait un large placard collé sur une maison vis-à-vis du City Hotel. Je m’approche autant que possible pour voir ce que signifiait ce placard: Affaires du Canada en gros caractères. On peut croire avec quelle avidité je lisais des nouvelles si favorables au parti canadien. J’examinais attentivement le moindre mouvement de la figure des Américains qui paraissent se réjouir de nos victoires, beaucoup de conversations, le mot annexion est déjà prononcé. Cette annexion convenait bien aux États du Nord pour faire contrepoids contre l’ascendance des États du Sud ( Robitaille, 1882: 60 P232P1_063).

Quelques jours plus tard, Robitaille et Marmette se retrouvent chez le docteur Smith17Il pourrait s’agir du docteur Nathan Ryno Smith (1797-1877), chirurgien réputé et professeur dans plusieurs universités américaines., un de leurs professeurs de Harvard, qui reçoit un mystérieux visiteur aux cheveux blancs, lequel s’avère être George Hill (1788-1868), le lieutenant-gouverneur de l’État du Massachusetts. Pour ces hommes bien avisés et informés des réalités politiques, le mouvement insurrectionnel est hélas destiné à l’échec. Robitaille note à propos de cette soirée:

Il [George Hill] nous questionna beaucoup sur l’état présent des affaires du Canada. Sur la demande si les Canadiens aimeraient être libres, quel est le peuple qui n’aime pas la liberté ? Cette réponse dite bien naïvement fit sourire et le vieillard et le Dr Smith. Alors le vieillard prononça un mot qui me fit voir qu’il connaissait l’état social et religieux du Bas-Canada. Votre peuple est en révolte, on se bat pour la liberté, mais il ne triomphera pas, et pourquoi ? Parce que le clergé est contre ce mouvement. […] Ce ne fut qu’à notre départ que le Dr Smith nous dit que le nom de celui avec qui nous avions longtemps conversé et qui nous avait fait tant de questions sur la politique canadienne. C’était l’honorable George Hill, lieutenant-gouverneur de l’État de Massachusetts ( Robitaille, 1882: 65-66 P232P1_068).

Les études et les loisirs à Boston (hiver 1837-1838)

Malgré tous ces événements, les étudiants canadiens poursuivent leurs cours, vont en classe et ne manquent pas les invitations de leurs professeurs à des soirées où jeunes gens et jeunes filles partagent de belles heures de loisir. On doit parfois choisir entre les plaisirs de la danse et ceux de la bonne table et de la conversation. Lorsqu’on ne fête pas entre amis, l’étude est finalement le meilleur remède à l’ennui. Robitaille aime aussi, tout en lisant et méditant, fumer la pipe:

Combien souvent on tue l’ennui en faisant dérouler de longs panaches de fumée du tabac, tourbillonnant dans le vide, puis disparaître pour faire place à d’autres. Cependant, comme toutes les bonnes choses il ne faut pas en abuser. Le tabac est non seulement un narcotique, il agit puissamment sur le système nerveux, diminue la mémoire et amène de grands désordres dans la circulation ( Robitaille, 1882: 68 P232P1_071).

Le 21 décembre, Robitaille visite l’Hôpital de la Marine de Chelsea, à 5 km de Boston sur la rive gauche de la rivière Charles, que l’on traverse encore en bateau à vapeur. Il y examine l’établissement et constate les cas de marins et de matelots atteints de fièvres, de rhumatismes, de dysenterie, de maladies vénériennes ou victimes de chutes ou d’accidents suivis de fractures.

Noël se passe sans histoire, sinon par l’agrément d’un concert de musique sacrée qui lui donne l’occasion de plaider brièvement la cause de l’éducation musicale ( Robitaille, 1882: 69 P232P1_072). Le 1er janvier 1838, les étudiants échangent cordialement leurs bons vœux, mais l’absence de la famille et des proches, des rituels et des festivités traditionnelles du jour de l’An pèse sur eux plus qu’à l’ordinaire. La culture protestante plus austère de la société bostonnaise insiste peu sur les réjouissances du Nouvel An. Robitaille ignore que le Bas-Canada, soumis à la loi martiale, célèbre bien peu l’arrivée de l’année 1838.

Le soir, il assiste à une conférence sur la phrénologie, saluée comme «un nouvel astre au firmament» ( Robitaille, 1882: 71 P232P1_074) des sciences. La soirée est agrémentée d’un concert d’orgue et de voix chorales. Au cours des jours suivants, il profite de ses temps libres pour visiter la ville de Boston. Il se rend à la prison de Charlestown et prend des notes sur le régime carcéral, le travail des détenus et le service d’infirmerie du pénitencier (72-74). Sans le savoir, il passe sur les traces d’Alexis de Tocqueville et de Gustave de Beaumont, venus de France en 1831-1832 pour étudier le système pénitentiaire américain. Tocqueville en ramènera sa vaste réflexion sur la démocratie18Sur le périple américain d’Alexis de Tocqueville, voir la préface d’André Jardin dans De la démocratie en Amérique d’Alexis de Tocqueville (1986): 7-29. Voir aussi Manent (1982) ainsi que Tocqueville au Bas-Canada d’Alexis de Tocqueville, présenté par Jacques Vallée (1973)..

L’étudiant en médecine se rend sur les sites historiques comme celui de la bataille de Bunker Hill (1775). Il visite aussi le cimetière jardin de Mount Auburn, près de Cambridge, qui est ouvert en 1831. Il rappelle celui du Père-Lachaise à Paris et il annonce la nouvelle conception des grands cimetières installés à la limite des villes (76-77). Le 3 janvier, il assiste à l’ouverture de la session législative au State House, précédée d’une cérémonie religieuse à l’église protestante et entourée d’un grand cérémonial (74-75). Cependant, les débats lui semblent indisciplinés et manquent, selon lui, de décorum ( Robitaille, 1882: 92 P232P1_095). Plus tard, Robitaille visite l’Athenæum de Boston, institut et musée d’histoire, fondé en 1807 et possédant une bibliothèque de 35 000 volumes ( Robitaille, 1882: 95 P232P1_098). Il est aussi reçu à l’Institut des aveugles, où il constate le succès des méthodes adaptées d’apprentissage pour les handicapés visuels ( Robitaille, 1882: 96 P232P1_099). Découvrant la vie culturelle de Boston, il assiste en janvier 1838 à une pièce dramatique au Tremont Theatre ( Robitaille, 1882: 81 P232P1_084).

Malgré une fièvre qui l’oblige à garder la chambre pendant une semaine, il termine enfin son cycle d’études à Boston à la fin de janvier. On l’invite avec ses confrères à visiter le musée médical du Dr Johnson qui leur fait personnellement l’honneur d’une présentation de ses collections. La notion même d’un musée pédagogique de médecine semble nouvelle à Robitaille:

Ce musée contient 500 pièces toutes préparées avec soin et placées avec ordre. C’est là où l’on peut voir, en peu de temps, une variété des nombreuses maladies auxquelles la pauvre nature humaine est exposée; tumeurs de toutes formes et de toutes espèces, cancers, anévrismes, malformations et centaines d’autres pièces passent devant nos yeux, on ne peut rien voir de plus intéressant dans ce genre pour un musée privé ( Robitaille, 1882: 81 P232P1_084).

Puis, guidés par le professeur Longfellow, ils visitent la bibliothèque et les pavillons du campus de l’Université Harvard. Robitaille est impressionné par la collection de 40 000 volumes et les manuscrits anciens que possède l’université ( Robitaille, 1882: 82 P232P1_085).

Boston leur offre encore d’ultimes soirées mondaines où on leur sert des buffets garnis de noix, de fruits, de crèmes, bonbons et gâteaux. Nos jeunes gens peuvent exercer leurs charmes auprès de belles demoiselles rieuses et empressées ( Robitaille, 1882: 80, 83-84 P232P1_083). Robitaille emporte de la capitale du Massachusetts un inoubliable souvenir.

Mon séjour à Boston ne m’a pas paru long. Avec un ami aimable, un compagnon de voyage, passant tous les jours six heures au collège, ayant plusieurs familles à visiter pendant nos heures de récréation, de belles rues à fréquenter, une magnifique commune pour la promenade, nous n’avions rien à envier. Non rien, nous étions heureux ( Robitaille, 1882: 98 P232P1_101).

De Boston à Brunswick

Son confrère Marmette rentre directement à Québec, alors que Robitaille s’en va poursuivre un cours complémentaire au collège Bowdoin à Brunswick dans le Maine. Robitaille quitte Boston en omnibus et se rend à Brunswick, avec escales à Salem, à Saw et à Portland. Brunswick se trouve à 200 km de Boston, un voyage de 30 heures en 1838. C’est une petite ville de 2000 habitants sur le fleuve Androscoggin. Le collège Bowdoin, où il s’inscrit, avait été créé en 1794 grâce à la fondation de James Bowdoin, descendant d’un huguenot français qui s’appelait Beaudoin. Une école de médecine y avait été adjointe par le gouvernement de l’État en 1820. En 1838, environ 200 étudiants fréquentent l’établissement. Robitaille trouve, près du collège, une pension à trois dollars par semaine, incluant le couvert, le chauffage et l’éclairage. Le nouvel étudiant doit mettre les bouchées doubles, car le trimestre est commencé depuis une semaine. Il suit des cours de chimie, avec le professeur Parker Cleaveland, et d’obstétrique, avec le Dr Rean19Les noms des professeurs Rean (ou Ryan) et Channing ne figurent pas au catalogue des officiers, professeurs et étudiants du collège Bowdoin publié en 1950: General Catalogue of Bowdoin College and the Medical School of Maine. A Biographical Record of Alumni and Officers, 1794-1950.. Le professeur Channing enseigne la théorie de la médecine et le Dr Joseph Roby est chargé du cours d’anatomie. Les distractions et les divertissements sont plus rares à Brunswick qu’à Boston, aussi Robitaille avoue-t-il y avoir étudié davantage.

Figure 9Vue du campus du collège Bowdoin vers 1910Haines Photo Co. Library of Congress Prints and Photographs Division Washington, 2007662219

Le 1er mai, le village célèbre le printemps par une parade où défilent, bien encadrés, les étudiants du collège Bowdoin. Robitaille participe de bon cœur à l’événement. Ses cours s’achèvent bientôt et il demeure toujours à l’affût des événements qui se déroulent dans sa patrie: «Quand je recevais des lettres et des journaux de Québec, toujours mon cœur palpitait de joie, mais c’est surtout à Brunswick que cette joie était à son comble» ( Robitaille, 1882: 107 P232P1_110).

En mai, le collège Bowdoin lui décerne son certificat d’études, mais, malgré sa hâte de rentrer au pays, il décide, à la suggestion de ses professeurs, de revenir à Boston passer l’examen de l’Université Harvard et obtenir le diplôme de médecine de ce prestigieux établissement. Le professeur Hayward et ses collègues réunissent exceptionnellement un jury le 24 mai, lequel fait passer à Robitaille un examen serré de deux heures. Le candidat répond à la satisfaction des maîtres. Il reviendra donc à Québec docteur en médecine de Bowdoin et de Harvard.

Le retour à Québec

Il fait une seconde fois ses adieux à Boston et aux nombreux amis qu’il s’y est faits, surtout le Dr Hayward et sa famille, envers laquelle il considère avoir une grande dette de reconnaissance. Il quitte la ville le 29 mai. La belle saison lui permet de faire le voyage de retour en omnibus. Il fait d’abord en un jour le trajet de 140 km de Boston à Claremont, avec escales à Lowell et à Concord. Le lendemain, il fait la route de Claremont à Montpellier, avec un arrêt à Windsor et il arrive le surlendemain à Burlington, sur les rives du lac Champlain:

Le 1er juin j’étais […] à Burlington […]. J’y trouvai un grand nombre de Canadiens qui avaient été obligés de quitter le pays après la révolte de 1837. Dans l’après-midi, on apprit l’arrivée à Québec de lord Durham, accompagné d’une nombreuse suite, ainsi que de deux des plus beaux régiments de l’Angleterre, les Colstream Gards et le[s] Grenadiers de la Reine avec cinq grands bâtiments de guerre. Lord Durham était envoyé au Canada plus comme vice-roi que comme gouverneur général du pays. Muni d’amples pouvoirs pour y régler les affaires bien embrouillées dans le pays. J’eus le plaisir de serrer la main de M. Étienne Parent, rédacteur du Canadien. Il était à Burlington pour conférer, je pense, avec les principaux réfugiés et s’entendre sur les hautes questions politiques du jour et, plus que probable, pour les supplier de ne pas faire d’agitations sur les frontières du Canada ( Robitaille, 1882: 119 P232P1_122).

De là, il prend un vapeur pour Saint-Jean-sur-Richelieu. Le train le ramène à La Prairie, d’où il traverse le Saint-Laurent vers Montréal, dernière escale avant Québec:

Me voilà dans la cité de Montréal à une journée de Québec. Le moment approche où il me sera donné de fouler de nouveau de mes pieds les rues de ma ville natale, d’embrasser mes parents chéris, de donner de fortes poignées de main à mes bons amis ( Robitaille, 1882: 120 P232P1_123).

Il rentre enfin dans sa ville le lendemain20Le journal de Robitaille contient quelques imprécisions quant aux dates de ses déplacements. Il dit être à Burlington le 1er juin, mais situe son arrivée à Québec le 2 juin, ce qui est techniquement impossible. Il serait plutôt arrivé dans la capitale au plus tôt le soir du 3 juin 1838. et retrouve avec bonheur sa famille et ses amis, prêt à poursuivre sa carrière de médecin et à remplir son rôle de notable du faubourg Saint-Jean. En 1844, il épouse Zoé-Louise Dénéchau, fille du marchand et homme politique Claude Dénéchau.

Un second voyage à Boston (1851)

Robitaille retournera à Boston en 1851 treize ans après son voyage d’études, à l’occasion d’une fête soulignant l’établissement d’un lien ferroviaire entre Montréal et Boston (The Railroad Jubilee, 1852). Les pages de ses mémoires sur ce second voyage témoignent des progrès des communications qu’ont connus en peu de temps les contemporains de Robitaille:

Le Maire21En septembre 1851, le maire de Québec était Narcisse-Fortunat Belleau. et les conseillers de ville reçurent une invitation de la part de la corporation de Boston pour assister à la célébration du jubilé des chemins de fer, qui devait avoir lieu le 17 septembre 1857 [sic]. En compagnie du Maire, de plusieurs conseillers et de citoyens marquants, je laisse Québec le 15, à trois heures P.M. et le lendemain à 9 heures du soir, je prenais le thé à l’hôtel Premont [sic], où nous avons logé pendant les trois jours de fête, aux frais de la cité de Boston. J’aimais à revoir cette ville où, 14 ans auparavant, j’avais pris mes degrés de docteur en médecine à l’Université Harvard. Je désirais saluer affectueusement mes anciens professeurs qui m’avaient témoigné tant d’égard et de bonté pendant mon séjour à Boston. Ma première visite fut chez le professeur Hayward […]. Chez le prof. Bigelow, je fis la connaissance de Mr Parkman22Francis Parkman (1823-1893), historien né à Boston, auteur de plusieurs ouvrages sur l’histoire de l’Amérique française et de la Nouvelle-France., jeune écrivain distingué qui a écrit [des] ouvrages sur le Canada. Il me dit que lors de son voyage à Québec, il aurait été heureux de connaître notre historien Garneau23 François-Xavier Garneau (1806-1866) avait à cette époque publié les trois tomes de son Histoire du Canada, lesquels sont parus entre 1845 et 1852. Il faisait partie de la délégation à titre de secrétaire de la Ville de Québec.. Je puis vous l’introduire, il est avec nous à Boston, il loge à mon hôtel. C’est ce qui eut lieu. […] Le soir, un magnifique dîner fut donné à l’hôtel Revere au Président des États-Unis, Fillmore24 Millard Fillmore (1800-1874), président des États-Unis de 1850 à 1853.; 500 invités prirent part à ce banquet.
Figure 10La rue Dover décorée à l’occasion du Great Boston Railroad Jubilee en 1851Gleason’s pictorial drawing-room companion (1851), Boston, vol. 1, p. 308. Boston public Library.

La fête se poursuit par une excursion en bateau dans le port de Boston, suivie d’une imposante parade des corps de métiers, artisans, manufacturiers, pompiers et autres membres des services publics qui défilent dans les rues de la ville. Lors d’un grand banquet populaire, lord Elgin, gouverneur général du Canada-Uni, et le président Fillmore rivalisent de cordialité et de témoignages d’amitié, conscients du mouvement d’intégration continentale que représente désormais le réseau des chemins de fer. Le soir, on illumine la ville pour couronner la fête. Après une adresse de remerciement, la délégation québécoise quitte Boston le 20 septembre.

Cet épilogue, qui constitue pour Olivier Robitaille un nostalgique retour vers son alma mater, témoigne de l’évolution des relations politiques et du développement des communications entre les États-Unis et les colonies britanniques d’Amérique du Nord, entre l’époque des insurrections de 1837-1838 et le milieu du siècle. À quelques années de la guerre de Sécession, l’enjeu continental demeurait ouvert entre Londres et Washington. Olivier Robitaille, étudiant en médecine de Québec à Boston, avait été le témoin d’une page d’histoire.

NOTES

  • 1. Nous corrigeons les coquilles et fautes d’orthographe des passages cités.
  • 2. Morrin le pousse à se rendre à Boston et lui trouve l’argent nécessaire pour faire ce voyage.
  • 3. Parfois orthographié Marmet. À ne pas confondre avec le romancier et essayiste du même nom, né à Montmagny en 1844.
  • 4. Le journal mentionne par erreur la date du 31 octobre. Il s’agit plutôt du 21 étant donné qu’il arrivera à Boston le 30 octobre.
  • 5. Louis-Édouard Glackmeyer (1793-1881), notaire et flûtiste, a joué avec les premiers groupes de musiciens qui se sont formés à Québec, dont la Société harmonique de Québec et le Septuor Haydn. Voir Lallmann, Potvin et Winters, 1983: 404.
  • 6. Le Populaire, paru d’avril 1837 à novembre 1838.
  • 7. Le wagon annexe transportait le carburant de la locomotive.
  • 8. 24 kilomètres. Le train roulait donc à une vitesse de 30 km à l’heure.
  • 9. Probablement Antoine-André Vanfelson (1815-1860), fils du juge Georges Vanfelson.
  • 10. Parfois orthographié Howard dans le document. Il s’agit du Dr Joshua Henshaw Hayward (1797-1856), éminent professeur de médecine de l’Université Harvard.
  • 11. À la fin de son trimestre, avant de quitter Boston, Robitaille détaille la liste de ses professeurs, il commente leurs personnalités et leurs cours (1882: 90-91).
  • 12. Sur la vie sociale et professionnelle ainsi que sur les codes de civilité et de politesse dans la Nouvelle-Angleterre au milieu du XIXe siècle, on peut consulter Hansen (1994), Riznik (1964), Beckert et Rosenbaum (2010), Kelly (1999).
  • 13. Au moment de son départ de la ville en février 1838, Robitaille donne une description détaillée de l’ancien Hôpital de Boston, près de la rivière Charles, et des leçons pratiques qu’il y a reçues (1882: 87-90).
  • 14. Longfellow gardera contact avec Robitaille au cours de son séjour à Boston. Il lui rendra même visite à sa pension en janvier 1838 (Robitaille, 1882: 79).
  • 15. Selon les explications données par Robitaille, ils se trouvaient dans la maison même où Washington avait préparé son plan pour la bataille de Bunker Hill le 17 juin 1775.
  • 16. Il s’agit du cabinet de lecture.
  • 17. Il pourrait s’agir du docteur Nathan Ryno Smith (1797-1877), chirurgien réputé et professeur dans plusieurs universités américaines.
  • 18. Sur le périple américain d’Alexis de Tocqueville, voir la préface d’André Jardin dans De la démocratie en Amérique d’Alexis de Tocqueville (1986): 7-29. Voir aussi Manent (1982) ainsi que Tocqueville au Bas-Canada d’Alexis de Tocqueville, présenté par Jacques Vallée (1973).
  • 19. Les noms des professeurs Rean (ou Ryan) et Channing ne figurent pas au catalogue des officiers, professeurs et étudiants du collège Bowdoin publié en 1950: General Catalogue of Bowdoin College and the Medical School of Maine. A Biographical Record of Alumni and Officers, 1794-1950.
  • 20. Le journal de Robitaille contient quelques imprécisions quant aux dates de ses déplacements. Il dit être à Burlington le 1er juin, mais situe son arrivée à Québec le 2 juin, ce qui est techniquement impossible. Il serait plutôt arrivé dans la capitale au plus tôt le soir du 3 juin 1838.
  • 21. En septembre 1851, le maire de Québec était Narcisse-Fortunat Belleau.
  • 22. Francis Parkman (1823-1893), historien né à Boston, auteur de plusieurs ouvrages sur l’histoire de l’Amérique française et de la Nouvelle-France.
  • 23. François-Xavier Garneau (1806-1866) avait à cette époque publié les trois tomes de son Histoire du Canada, lesquels sont parus entre 1845 et 1852. Il faisait partie de la délégation à titre de secrétaire de la Ville de Québec.
  • 24. Millard Fillmore (1800-1874), président des États-Unis de 1850 à 1853.

BIBLIOGRAPHIE

Sources

  • General Catalogue of Bowdoin College and the Medical School of Maine. A Biographical Record of Alumni and Officers, 1794-1950 (1950), Brunswick (Maine) [en ligne]: https://archive.org/details/generalcatalogue1950bowd
  • Robitaille, Olivier (1882). Mes mémoires. Québec, [tapuscrit], disponible à BANQ P232 [en ligne]: http://numerique.banq.qc.ca/patrimoine/archives/52327/3267400
  • The Railroad Jubilee. An Account of the celebration Commemorative of the Opening of Railroad Communication between Boston and Canada, September 17th, 18th and 19th 1851 (1852). Boston: J. H. Eastburn.
  • Tocqueville (de), Alexis (1973 [1831-1859]). Tocqueville au Bas-Canada. Présentation de Jacques Vallée. Montréal: Éditions du Jour.
  • Tocqueville (de), Alexis (1986 [1835-1840]). De la démocratie en Amérique. Paris: Gallimard.

Études

  • Beckert, Sven, et Julia B. Rosenbaum (2010). The American Bourgeoisie: Distinction and Identity in the Nineteenth Century. New York: Palgrave Macmillan.
  • Bernier, Jacques. «Robitaille, Olivier» (2003). Dictionnaire biographique du Canada, vol. 12, Université Laval et University of Toronto [en ligne]: http://www.biographi.ca/fr/bio/robitaille_olivier_12F.html
  • Hansen V., Karen (1994). A Very Social Time. Crafting Community in Antebellum New England. Berkeley: University of California Press.
  • Kelly E., Catherine (1999). In the New England Fashion: Reshaping Women’s Lives in the Nineteenth Century. Ithaca: Cornell University Press.
  • Lallmann, Helmut, Gilles Potvin et Kenneth Winters (1983). Encyclopédie de la musique au Canada. Montréal: Fides.
  • Manent, Pierre (1982). Tocqueville et la nature de la démocratie. Paris: Juillard.
  • Riznik, Barnes (1964). «The professional lives of early nineteenth-century New England doctors». Journal of the History of Medecine and Allied Sciences, vol. 19, no 1, p. 1-16.
  • Thériault, Joseph-Yvon (2013). Évangéline: conte d’Amérique. Montréal: Québec-Amérique.
Tous droits réservés. Centre interuniversitaire d’études québécoises (CIEQ)
Dépôt légal (Québec et Canada), 3e trimestre 2018.
ISBN 978-2-921926-67-6 (PDF) - 978-2-921926-66-9 (HTML)

Crédits

RÉVISION LINGUISTIQUE — Solange Deschênes
CARTOGRAPHIE — Philippe Desaulniers et Adam Lemire
CONCEPTION GRAPHIQUE — Émilie Lapierre Pintal
PROGRAMMATION — Adam Lemire en collaboration avec Tomy Grenier, Jean-François Hardy et Émilie Lapierre Pintal
COORDINATION — Mélanie Lanouette

Comment citer cette publication

GALLICHAN, Gilles (2018). «Olivier Robitaille, récit d’un voyage d’études aux États-Unis en 1837-1838», dans Gérard Fabre, Yves Frenette et Mélanie Lanouette (dir.), Les récits de voyage et de migration comme modes de connaissance ethnographique: Canada, États-Unis, Europe (XIXe-XXe siècles). Québec: Centre interuniversitaire d'études québécoises (coll. «Atlas historique du Québec - La francophonie nord-américaine»). [En ligne]: https://atlas.cieq.ca/la-francophonie-nord-americaine/interactif/olivier-robitaille-recit-d-un-voyage-d-etudes-aux-etats-unis-en-1837-1838.html (consulté le 14 novembre 2024).